À lire avant le spectacle | La Périchole

Publié le 25 avril 2022
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La Périchole, comme la Champmeslé, la Malibran ou la Callas, tient de la personnalité historique et du personnage de fiction, et son nom de scène est devenu un emblème de la condition de la femme artiste.

Comme elles, la Périchole a imposé au public ses talents multiples, stimulé la création de pièces nouvelles et gravi l’échelle sociale. Comme d’autres, elle a même pris la tête d’un théâtre. Et laissé, après sa mort en 1819, les mémorialistes faire la chronique de sa vie pour interpréter son époque à la lumière de son destin.

Dans les années 1770, La Périchole était la prima donna du théâtre de Lima, capitale du Pérou espagnol. On devait prononcer son nom à l’espagnole, peritchola. Mais son traitement littéraire français a bizarrement pris l’habitude de dire son nom à l’italienne, perikol.

Bizarrement, car depuis le début du XIXe siècle et la campagne napoléonienne, l’Espagne était particulièrement à la mode en France. Spectacles et imagerie populaire recyclaient ces figures classiques qu’étaient le Cid, Don Quichotte, Don Juan. Créé en 1830, Hernani leur doit beaucoup. On raffolait des danseuses et chanteuses ibériques qui se produisaient sur les scènes de la capitale. Dans les salons, on s’appropriait le boléro. En 1838, le Louvre inaugura sa galerie espagnole. On rappelait que nombre de rois de France avaient épousé des infantes. À son tour, Napoléon III convola avec Eugenia de Montijo en 1853. Tandis que la péninsule traversait une longue crise politique et économique, forçant de nombreuses personnalités à émigrer, intellectuels et artistes s’adonnaient au « voyage en Espagne » (Théophile Gautier) et renouvelaient leur inspiration dans ses mœurs fières et ses traditions pittoresques. Mérimée en rapporta Carmen en 1847, Chabrier España en 1882.

Pour les Parisiens, la Périchole était doublement exotique, car Espagnole et créole du Pérou.

Elle résultait d’une recréation de Prosper Mérimée. En 1825, ce jeune romantique pas encore haut fonctionnaire avait fait paraître un recueil de petites comédies intitulé Théâtre de Clara Gazul. Il présentait Gazul – son pseudonyme – comme une comédienne ibérique contemporaine. Cinq ans plus tard, une nouvelle saynète, Le Carrosse du Saint-Sacrement rejoignit une réédition du volume. Ces pièces étaient anticléricales, pour des raisons soi-disant biographiques. Le Carrosse mettait ainsi en scène l’affrontement de la Périchole et de l’évêque de Lima autour d’un Vice-Roi fainéant et amoureux – caricature du vieux Louis XVIII.

La pièce de Mérimée resta d’abord réservée à la lecture, tandis que sa variation écrite par les oubliés Théaulon et Pittaud de Forges remporta en 1835 un beau succès au théâtre du Palais-Royal. Elle était interprétée par la célèbre Virginie Déjazet, une amie d’Offenbach (qui allait prendre la direction du théâtre des Folies-Nouvelles en 1859, auquel elle donnerait son nom). En 1850, la Comédie-Française programma à son tour la saynète de Mérimée, une semaine après les débuts d’Offenbach comme chef d’orchestre dans la même institution.

Sensible aux parcours d’artistes (sa carrière officielle débute avec Orphée et s’achève avec Hoffmann), Offenbach devait aborder un jour ce personnage de femme douée, rebelle et libre, comme l’autre actrice qui allait lui inspirer, dix ans plus tard, l’opéra-comique Madame Favart.

Face à la Périchole, la figure du Vice-Roi pouvait donner lieu à une caricature comme on les aimait dans l’opéra-bouffe, genre développé avec ses deux librettistes de génie, Meilhac et Halévy. De fait, le royal Don Andrès tient à la fois du Vice-Roi campé par Mérimée et de… Napoléon III. Lequel empereur, grand amateur de théâtre, eut le bon goût de s’en amuser.

Par égards pour une censure qui proscrivait toute mise en cause de la religion, l’intrigue prend une tournure nouvelle dans le livret fourni à Offenbach. Exit le personnage de l’évêque. Et ce n’est plus un huis clos mais une fresque populaire, qui commence et finit devant un cabaret : l’animation apportée par le chœur évoque un pays en crise. La belle Périchole n’est plus une diva mais une chanteuse des rues. Elle a pour amant non le Vice-Roi mais son compagnon d’infortune, Piquillo – poivron dont il a la tendresse et le feu.

Leur histoire d’amour, sur un fond de peinture sociale, annonce le livret de Carmen qu’allaient bientôt produire Meilhac et Halévy. Elle était écrite pour des fidèles d’Offenbach : la mezzo Hortense Schneider, le ténor José Dupuis et le baryton Pierre-Eugène Grenier.

Conçue dans la foulée du triomphe de La Grande-Duchesse de Gérolstein, l’œuvre est d’un raffinement subtil. La Périchole écrit à Piquillo avec des mots empruntés à la Manon Lescaut de l’abbé Prévost : son air est un « diamant de Mozart » lit-on dans la presse, en référence au qualificatif jadis inventé par Rossini pour Offenbach (« petit Mozart des Champs-Élysées »). Pilier de l’Opéra depuis 1840, La Favorite de Donizetti, à l’intrigue similaire, fait l’objet de deux citations à l’acte II (nos 12 et 14 de la partition). Que de références élégantes !

La création du 6 octobre 1868, au théâtre des Variétés, remporte cependant un succès médiocre. Le public trouve plusieurs passages osés à partir de l’ariette de la griserie, en fin d’acte I. « Ce genre n’en a plus pour longtemps à vivre », lit-on dans Le Temps, car « le public assiste à des événements tellement sérieux qu’il a fini par se dégoûter des farces et des farceurs », explique La Lanterne.

Plus profonde qu’il n’y paraît, la « farce » tient 76 représentations à l’affiche. Elle y reviendra après les « événements sérieux » que sont la chute du Second Empire et les débuts de la Troisième République. Offenbach et ses complices en proposent une seconde version, passant de deux à trois actes, le 25 avril 1874, toujours aux Variétés.

Parmi les nouveautés figure l’extraordinaire vieux prisonnier, rôle parlé inspiré de l’abbé Faria du Comte de Monte-Cristo. Le succès est un peu plus durable. Mais l’œuvre est trop profonde, trop en demi-teinte. Elle est jouée 83 fois en 1874, encore 23 fois en 1877, mais ne sera plus reprise du vivant d’Offenbach. Elle marque pourtant des générations de mélomanes : depuis Chabrier, dont le roi Ouf 1er dans L’Étoile (en 1877) a le Vice-Roi pour modèle, à Hergé, dont la Castafiore se montre lointaine héritière de la Périchole lorsqu’elle affronte des dictateurs.

L’Opéra Comique n’a pas programmé La Périchole depuis la direction de Jérôme Savary, dont la version sous forme de comédie musicale (La Chanteuse et le dictateur, créée à Chaillot en 1999) a été donnée deux fois, en 2000 et en 2007.

Modeste, débrouillarde et sentimentale, l’héroïne de cet opéra-bouffe ressemble beaucoup à l’opéra-comique tel que l’aimait et le définissait Offenbach. D’où l’enthousiasme de nos interprètes, petite troupe que nous avons composée avec des amoureux de ce répertoire, et qu’emmènent joyeusement Julien Leroy, Valérie Lesort et leurs équipes.

Par Agnès Terrier

Argument

Acte I

Un demi-siècle avant l'indépendance du Pérou en 1821, le vice-roi Don Andrès assure la loyauté de la colonie envers la couronne d'Espagne. Le jour de sa fête, il enquête incognito sur sa réputation tandis que deux dignitaires, Don Pedro et le comte de Panatellas, surveillent l'agitation en ville. Personne n'est dupe à Lima, mais le vice-roi ne voit dans la bonne humeur générale que la confirmation de sa popularité.

Devant le Cabaret des trois cousines vient se produire un couple de chanteurs des rues. Pour la Périchole et Piquillo, la vie est dure : la chanteuse doit se laisser courtiser pour augmenter la recette, et le public n'est guère généreux.

Piquillo s'en va quêter plus loin tandis que la Périchole s’assoupit, affamée et épuisée. C'est alors que le vice-roi surprend ses plaintes. Enfin quelqu'un qui n'est pas heureux ! Mais c'est une femme ravissante ! Le vice-roi lui propose aussitôt de l'emmener à la cour. Tenaillée par la faim, la chanteuse n'hésite pas longtemps. Tandis qu'elle écrit une lettre pleine de tendresse à Piquillo, le vice-roi, Don Pedro et Panatellas décident de lui trouver un faux mari afin de légitimer sa présence au palais.

À son retour, aussitôt la lettre lue, Piquillo décide d'en finir avec la vie. Panatellas le surprend au moment critique et engage le désespéré à jouer à la cour le rôle d’un mari fantoche.

Sévèrement enivrés pour endormir leurs scrupules, la Périchole et Piquillo se prêtent à la comédie du mariage.

Acte Il

Le lendemain, les courtisans apprennent avec consternation que leur souverain a choisi pour favorite une chanteuse des rues. L'apparition d'un Piquillo enténébré par sa gueule de bois soulève l'indignation. Sous les quolibets, il comprend qu'il a épousé la maîtresse du roi. Mais Don Pedro et Panatellas lui promettent, s'il accepte de présenter officiellement « son épouse » au vice-roi, la liberté et la fortune, puisqu’il sauvera ainsi l'honneur de la couronne. Piquillo ne pense plus qu'à échapper au piège qu'il sent se refermer sur lui.

En pleine cérémonie, il découvre que cette épouse n'est autre que la Périchole. Fou de jalousie, il laisse éclater son dépit, malgré les remontrances de la belle qui voit des avantages à la situation. La révolte de Piquillo lui vaut d'être jeté en prison, dans le cachot des maris récalcitrants.

Acte III

Premier tableau

Dans sa geôle, Piquillo se désole : s'il a conquis l'estime des maris liméniens, son amoureuse est livrée à la concupiscence du vice-roi. La Périchole vient vite le rassurer : fidèle et plus amoureuse que jamais, elle veut corrompre le gardien. Hélas, il s’agit du vice-roi grimé, et le couple se retrouve enchaîné. Curieuse nuit de noces ! Avec la complicité d'un vieux prisonnier, les amoureux se défont de leurs chaînes et la Périchole attire le vice-roi par ses chants. Après l'avoir enfermé à leur place, ils s'échappent.

Second tableau

Sur la place du Cabaret des trois cousines, le vice-roi et ses patrouilles recherchent les évadés. Ceux-ci affrontent l'autorité et défendent leur sort en chansons. Généreusement, Don Andrès leur pardonne et ils retrouvent la vie intermittente mais libre des artistes.

La Périchole

Jacques Offenbach

15 au 25 mai 2022

Valérie Lesort s’empare avec humour et tendresse de ce portrait de femme remarquable inspiré de Mérimée. La partition savoureuse de l’opéra bouffe d’Offenbach est servie par la direction chaleureuse de Julien Leroy

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