« Trouve une personne heureuse, prends un bouton de sa manche, et ton enfant vivra » : voilà la folle promesse qui fait naître l’espoir chez une mère endeuillée en quête d’un miracle. L’auteur, le dramaturge anglais Martin Crimp, prévient les spectateurs : « Cet opéra est un voyage à la manière d’Alice au Pays des Merveilles, mais pour adultes ». Il est vrai que lors de sa première écriture du conte, Lewis Carroll ne destinait pas cette histoire à un jeune public. Crimp nous suggère alors qu’Alice peut être convoquée à nouveau pour parler aux enfants devenus grands.
L’histoire commence donc avec cette prophétie invraisemblable mais obsédante comme un lapin blanc qui vous attirerait inexorablement au fond de son terrier. Lorsque la frontière du réel est franchie, c’est là que la bascule commence pour le metteur en scène Daniel Jeanneteau : « les rencontres faites en chemin représentent autant d’étapes déterminantes » pour la mère devenant, comme Alice, l’héroïne-prisonnière d’une quête a priori absurde, implorant les personnages qui croisent sa route d’écouter sa requête.
La Mère, interprétée avec brio par la mezzo-soprano Marianne Crebassa, rencontre ainsi l’Artisan, ce personnage au costume piqué de mille boutons. "Toujours avec ma dose et plus que jamais !" s'exclame-t-il, rappelant dans sa politesse exagérée mêlée à son addiction démesurée les comportements erratiques du Chapelier Fou qui n’en finissait pas de demander plus de sucre dans sa tasse. Comme chez la jeune Alice, la confiance des premiers instants se transforme en méfiance, pour enfin laisser place à la peur.
Chat du Cheshire ou caméléon ?
« Chaque scène possède ses propres lois musicales dans une forme de continuité interrompue », prévient Martin Crimp, qui égare sa protagoniste au milieu des jardins merveilleux et intemporels réalisés par l’artiste plasticien Hicham Berrada. Au milieu de cette roseraie, le spectateur s’interroge : le bouton miraculeux tant désiré serait-il un "bouton des roses d'Ispahan", comme celles qu’Alice découvre dans les jardins de la Reine de Cœur ?
Picture a day like this signe la quatrième collaboration du dramaturge Martin Crimp avec le compositeur George Benjamin. Sa musique soutient cette narration faite de rencontres séquentielles : « j’ai dû trouver à chaque scène des techniques de composition différentes » nous confie Benjamin. On peut voir dans cette composition musicale une esquisse du malicieux Chat du Cheshire, qui se révèle avant de disparaître, fuyant mais toujours présent, surtout quand Benjamin file la métaphore animale en voyant dans Picture a day like this « une pièce qui change et évolue tel un caméléon. »
"Je me suis retrouvée où ça avait commencé" constate la Mère, s'éveillant peut-être de son douloureux sommeil. Au final, c’est peut-être la co-metteuse en scène Marie-Christine Soma (avec Daniel Jeanneteau) qui résume le mieux ce parallèle avec la fable douce-amère imaginée par Lewis Caroll : « L’héroïne passe par toute une gamme de sentiments, et l’œuvre passe par diverses atmosphères et couleurs, y compris comiques. Cette légèreté compatible avec la gravité, et qui fait aussi l’étoffe de la vie humaine, est une manière de laisser entrevoir ses failles et ses errements, et la folle vanité qu’il peut y avoir à rechercher le bonheur et à lutter contre l’inéluctable ».
Opéra en un acte de George Benjamin. Texte original de Martin Crimp. Créé le 5 juillet 2023 au Festival d'Aix-en-Provence.