En 1987, Jean-Marie Villégier et William Christie​ signent la recréation d'Atys

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	<p>Atys à l'Opéra Comique © P.Grosbois</p>

Atys à l'Opéra Comique © P.Grosbois

En janvier 2021, William Christie et Basil Twist redonnent vie à Titon et l’Aurore, un opéra disparu de la scène depuis 1768. Cette redécouverte en rappelle une autre, qui eut également lieu à l’Opéra Comique : Atys, en 1987. William Christie collaborait alors avec Jean-Marie Villégier pour ce qui allait consacrer les retrouvailles du grand public avec le répertoire baroque. Pour éclairer cet héritage, l’Opéra Comique met en ligne un documentaire inédit sur Jean-Marie Villégier, signé Isabelle Delamare, accompagné d’un entretien exclusif.

Entretien

Jean-Marie Villégier, on peut découvrir sur le site de l’Opéra Comique votre démarche artistique et votre compagnonnage avec William Christie dans le documentaire Jean-Marie Villégier, l’homme qui enchante les mots.

Ce film doit tout à l’initiative et à l’obstination d’Isabelle Delamare, que j’ai rencontrée durant les tournées de ma compagnie L’Illustre-Théâtre. À la reprise d’Atys en 2011, elle a souhaité réaliser un documentaire sur le spectacle, et plus généralement sur mes mises en scène de théâtre et d’opéra.

Elle y a consacré plusieurs années, plongeant dans les archives de ma compagnie et s’imprégnant de mes spectacles, voyageant jusqu’à Vienne pour interviewer mon grand partenaire musical William Christie. Je suis très heureux que l’Opéra Comique assure la diffusion de ce documentaire.

De fait, vous appartenez à l’histoire de l’Opéra Comique ! Pouvez-vous nous raconter quels sont vos liens avec l’institution ?

S’il y a, parmi tous les lieux où j’ai travaillé, un théâtre auquel je me sens profondément attaché, c’est bien l’Opéra Comique.

Bien sûr, c’est là qu’Atys a rencontré en 1987 un succès aussi exceptionnel qu’inattendu. C’est là qu’ont eu lieu les reprises ultérieures du spectacle, jusqu’à la recréation de 2011, programmée par Jérôme Deschamps et Olivier Mantei – avec la réalisation d’une captation et l’édition d’un DVD dont beaucoup rêvaient. C’est de là aussi qu’est partie l’aventure américaine de la production, que nous avons emmenée à New York en 1989 et en 2011. L’espérance de vie d’un spectacle dépasse rarement la dizaine d’années. Or, dans le berceau de Favart, Atys a développé une longévité exceptionnelle.

Qu’on pense par ailleurs à sa descendance ! Les jeunes artistes rassemblés dans la fosse de l’Opéra Comique par William Christie – Christophe Rousset, Marc Minkowski, Hugo Reyne, Hervé Niquet, Emmanuelle Haïm, etc. – ont fait fructifier la rencontre artistique, créé leurs propres ensembles, et portent toujours plus haut la musique française, depuis plus de trois décennies.

Je suis par ailleurs revenu à l’Opéra Comique à la faveur d’autres productions, toujours avec Les Arts Florissants : pour La Fée Urgèle de Favart et Duni en 1991, pour Médée de Charpentier en 1993 – spectacle qui a aussi franchi l’Atlantique –, et pour Les Métamorphoses de Psyché, un projet combinant une comédie de Molière et une tragédie lyrique de Thomas Corneille, en 1999 – ma seule expérience de comédien à la salle Favart, au côté de Stéphanie d’Oustrac qui débutait aux Arts Florissants.

Vous qui en connaissez tous les recoins, diriez-vous que la salle Favart a une ambiance particulière ?

C’est une salle intime et extraordinairement chaleureuse. Je pense que c’est l’impression la plus forte que l’on conserve après une soirée, aussi bien comme artiste que comme spectateur. Mais il s’agit aussi d’un grand et beau théâtre, dont la jauge n’est pas si éloignée de celle de l’Opéra Garnier. Sa splendeur convient aux fastes des répertoires baroque et classique.

J’ai un souvenir particulièrement fort du plateau scénique et de la vie qui s’y déploie. À certains égards, il est très exigu ! Une fois installé le décor d’Atys, seuls d’étroits passages permettaient aux artistes de faire leurs entrées et leurs sorties de scène. Quelle vie extraordinaire dans ces dégagements qu’on ose à peine appeler coulisses ! Un autre spectacle s’y déroule, cette fois mis en œuvre par les régisseurs de scène. Les interprètes attendent leurs interventions, au coude à coude avec les accessoiristes et les techniciens, au milieu des raccords costumes et maquillage…

S’y ajoutait, pour Atys, l’extraordinaire intérêt que portaient les danseurs au chant et les chanteurs à la danse. On se pressait, à cour et à jardin, pour admirer les prestations scéniques des collègues, et pour partager l’émotion du public.

À l’Opéra Comique, chacun, quel que soit son rôle dans la maison, se sent co-responsable de la réussite du spectacle.

Parlez-nous de votre collaboration, en tant que metteur en scène, avec William Christie.

William Christie et moi avons toujours travaillé dans un esprit d’atelier, aussi bien en 1987 que lors des spectacles ultérieurs et des reprises d’Atys. Je dirais que c’est un état d’esprit qui caractérise toute collaboration avec Les Arts Florissants, et qui suppose la recherche, la curiosité, l’implication de la jeunesse et le sens du collectif.

En 1987, on a beaucoup loué les qualités « littéraires » du spectacle. Le soin apporté à la diction et l’intelligibilité du texte étaient il est vrai magnifiés par l’acoustique naturelle de la salle Favart.

C’était le fruit d’un point majeur de notre entente artistique : l’attachement aux mots, à la déclamation et à l’éloquence verbale, des particularités lyriques françaises dont Christie est un inlassable défenseur.

Nous avons mis en œuvre cette exigence littéraire commune dès le choix du titre de Lully : Massimo Bogianckino, alors directeur de l’Opéra de Paris, souhaitait célébrer en 1987 le tricentenaire de la mort du fondateur de l’institution, et c’est Thierry Fouquet, responsable de la salle Favart, qui nous a invités à choisir parmi ses opéras. Quinault, le librettiste de Lully, n’était pas un auteur mineur. Atys, réputé être l’« opéra du roi », méritait pleinement les faveurs de Louis XIV qui avait un goût très sûr en matière de littérature. C’est une très belle tragédie « racinienne », d’ailleurs citée par Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, comme un chef-d’œuvre du théâtre du Roi-Soleil.

Quel directeur musical est William Christie ?

William Christie est très attentif, dans tous les projets qu’il aborde, à la qualité de l’action scénique et à la narration, comme au poids des mots. Il est très sensible à ce qu’il entend mais aussi à ce qu’il voit, ce qui fait de lui un directeur musical exceptionnel dans les projets lyriques. Ce n’est pas le fait de tous les chefs d’orchestre, même s’ils occupent en fosse la position du premier spectateur ! Certains, très réputés, lèvent rarement les yeux vers la scène ; certains vont jusqu’à refuser d’adapter leur travail aux paramètres scéniques.

Christie pense à la dimension théâtrale de l’œuvre dès la préparation de la partition. Il fait en sorte d’être toujours en mesure de conforter les choix de mise en scène par ses décisions musicales. S’il découvre, pendant les répétitions, un effet scénique inattendu mais convaincant par rapport à ce qu’il a présagé, il le magnifie.

On en revient à l’idée d’atelier. Pour Atys, j’ai travaillé en forte cohésion avec la chorégraphe Francine Lancelot, son assistante Brigitte Massin, le créateur costumes Patrice Cauchetier et le décorateur Carlo Tommasi. Cela nous a permis une grande adaptabilité lors des répétitions avec Les Arts Florissants, et c’est probablement ce qui a donné son caractère organique au spectacle.

Une dernière question, esthétique celle-là. L’Opéra Comique vient de produire deux titres « baroques », Hippolyte et Aricie de Rameau en novembre 2020, Titon et l’Aurore de Mondonville en janvier 2021. La première œuvre a été jouée sans son prologue, la seconde avec. Quelle est votre position à l’égard du prologue, souvent incontournable dans les opéras de l’Ancien Régime ?

C’est très tentant de couper le prologue d’une tragédie en musique. On n’est pas encore au théâtre, on est dans un geste, celui de donner le théâtre, un geste fort qui fait partie du genre musical, de la forme « tragédie en musique ».

Que devions-nous faire de celui d’Atys ? Atys est une tragédie noire, sanglante. Or son prologue est astucieux : il relie le récit qui va être donné au public de 1676, rassemblé autour de Louis XIV. « La puissante Cybèle veut que je renouvelle dans une illustre cour le souvenir de son amour », dit Melpomène.

Le prologue conjugue dans un même propos l’actualité du public de la création et la fable mythologique. Avec le décalage temporel qu’implique l’éventuelle ancienneté de l’œuvre, en cas de reprise, il interpelle aussi les spectateurs de la production. Avec le temps, il peut apparaître comme un membre un peu bizarre du corps qu’est la tragédie.

Musicalement, j’aurais tendance à dire que c’est capital de garder le prologue. Scéniquement, j’en suis moins certain. Il faut savoir faire traverser au public cette sorte de no man’s land qui mène à la tragédie. Il faut le concevoir comme un sas, où on prend le temps de se préparer à changer d’univers, comme un moment où rendre sensible le passage à un autre monde. C’est une forme de cérémonial, que je trouve d’ailleurs approprié dans une salle à l’italienne, où se déploie le luxe d’un autre temps. Le prologue doit donc se distinguer du reste du spectacle. J’aime à le concevoir comme « le spectacle auquel vous allez échapper » !

Pour Atys, mon parti pris dramaturgique était de monter l’œuvre comme une pièce racinienne, de mettre en évidence sa structure classique dans un décor unique, sans recours à la machinerie complexe de l’opéra. Pour le prologue, Carlo Tommasi m’a suggéré de dissimuler le décor tragique, que caractérisait les matières minérales et les nuances de gris, par des tapisseries colorées. La fin du prologue était marquée par un geste scénique simple : la chute de ces tapisseries. L’effet s’est avéré plus violent que prévu, particulièrement du point de vue du public. Il a marqué les esprits car il annonçait très efficacement, comme un couperet, la cruauté de l’engrenage tragique. Il y a bien des moments au théâtre où l’on est dépassé par ce que l’on fait !

Propos recueillis par Agnès Terrier

Retrouvez les programmes de salle des spectacles de Jean-Marie Villégier avec Les Arts Florissants à l’Opéra Comique sur Dezède :

Retrouvez les productions de Jean-Marie Villégier et de L’Illustre-Théâtre sur : http://www.illustretheatre-jmvillegier.fr/bio.php

Découvrez les images du spectacle d'Atys :

Titon et l'Aurore

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville

18 au 27 janvier 2021

Titon et l’Aurore est un conte et une allégorie. Le berger Titon et l’Aurore fugitive s’aiment, malgré le passage du temps et la jalousie des dieux. Le climat se trouble, nymphes et faunes s’en mêlent.

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