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L’émotion musicale et les lois de la nature
de Jean-Philippe Rameau
Pour jouir pleinement des effets de la musique, il faut être dans un pur abandon de soi-même, et pour en juger, c’est au principe par lequel on est affecté qu’il faut s’en rapporter. Ce principe est la Nature même, c’est d’elle que nous tenons ce sentiment qui nous meut dans toutes nos opérations musicales, elle nous en a fait un don qu’on peut appeler instinct. Consultons-la donc dans nos jugements, voyons comment elle nous développe ses mystères avant que de prononcer. Et s’il se trouve encore des hommes assez pleins d’eux-mêmes pour oser en décider de leur propre autorité, il y a lieu d’espérer qu’il ne s’en trouvera plus d’assez faibles pour les écouter.
Un esprit préoccupé, en entendant de la musique, n’est jamais dans une situation assez libre pour en juger. Si dans son opinion, par exemple, il attache la beauté essentielle de cet art aux passages du grave à l’aigu, du doux au fort, du vif au lent, moyens dont on se sert pour varier les bruits, il jugera de tout d’après cette prévention, sans réfléchir sur la faiblesse de ces moyens, sur le peu de mérite qu’il y a à les employer, et sans s’apercevoir qu’ils sont étrangers à l’harmonie, qui est l’unique base de la musique, et le principe de ses plus grands effets.
Qu’une âme vraiment sensible juge bien différemment ! Si elle n’est pénétrée par la force de l’expression, par ces peintures vives dont l’harmonie est seule capable, elle n’est point absolument satisfaite : non qu’elle ne sache se prêter à tout ce qui peut l’amuser ; mais du moins n’apprécie-t-elle les choses qu’à proportion des effets qu’elle en éprouve.
C’est à l’harmonie seulement qu’il appartient de remuer les passions, la mélodie ne tire sa force que de cette source, dont elle émane directement. […]
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Si l’imitation des bruits et des mouvements n’est pas aussi fréquemment employée dans notre musique que dans l’italienne, c’est que l’objet dominant de la nôtre est le sentiment, qui n’a point de mouvements déterminés, et qui par conséquent ne peut être asservi partout à une mesure régulière, sans perdre de cette vérité qui en fait le charme.
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C’est principalement du fonds d’harmonie, dont se tire la mélodie appliquée aux paroles, que le chanteur reçoit l’impression du sentiment qu’il doit peindre : ces paroles ne lui servent, pour ainsi dire, que d’indication.
Observations sur notre instinct pour la musique et sur son principe, 1754
L'harmonie, dans son état primitif et naturel, tel que la donnent les corps sonores, dont notre voix fait partie, doit produire sur nous, qui sommes des corps passivement harmoniques, l’effet le plus naturel, et par conséquent le plus commun à tous. De là vient que celui qui, faute d'une oreille exercée, est peu sensible aux différentes successions de l'harmonie, l'est au moins par instinct au son d'un corps parfaitement sonore, comme une belle cloche. Or, dès que ce son lui plaît, il est bien certain qu'en lui faisant entendre, sur trois corps différents, les trois sons qui résonnent dans cette cloche, bien qu'il croie n'y distinguer que le plus grave, il ne pourra qu'en être aussi agréablement affecté. […]
Comment peut-on être insensible à de pareilles successions, lorsque la Nature elle-même les a imprimées dans des instruments artificiels, savoir cors et trompettes […] ? Comment se pourrait-il, après cela, qu’elle les eût refusées à des corps qu’elle a formés elle-même ? N’en croyons donc pas ceux qui se piquent d’insensibilité sur cet article, ils ne se connaissent pas eux-mêmes. J’en ai fait l’épreuve plus d’une fois, et de toutes les façons, surtout à Paris. […]
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C’est à l’âme que la musique doit parler : le moyen en est dans tous les tons. […] L'expression de la pensée, du sentiment, des passions, doit être le vrai but de la musique. On n'a guère encore songé qu'à s’amuser de cet art, l'oreille s'y contente de quelques fleurs semées par-ci, par-là, de la variété des mouvements, de l'action du chanteur… […]
Avec de grands talents, fécondés des connaissances dont je crois être ici le premier dispensateur, on peut espérer qu’insensiblement la musique deviendra pour nous quelque chose de plus que le simple amusement des oreilles.
Code de musique pratique, 1760
Le phénomène du corps sonore est la première merveille que la Nature ait encore soumise à notre raison.
Réponse de M. Rameau à MM. les éditeurs de L’Encyclopédie, 1757
Je ne dois mes découvertes en musique qu’aux lois de la Nature.
Réponse de M. Rameau à MM. les éditeurs de L’Encyclopédie, 1757