1 - « être ou ne pas être », Hamlet un opéra oublié ?
Créé en 1868, Hamlet était une œuvre phare du répertoire français du XIXème siècle. Joué chaque année et plusieurs fois par an à Paris jusqu’en 1938, les représentations de l’opéra dépassaient le nombre de 300 en 1914.
Il est vrai que la version opératique est bien différente de la pièce de Shakespeare. D’une part parce qu’un livret d’opéra requiert un autre type de langage, simplifié, afin de laisser la musique s’épanouir, sans que cela soit trop long ; d’autre part pour des raisons de contexte politique et culturel : il y avait encore un comité de censure à l’époque d’Ambroise Thomas et, pour ne prendre qu’un exemple, présenter un régicide était délicat.
Malgré les multiples différences à noter entre ces deux formes, l'essence de la pièce de Shakespeare se retrouve dans l'opéra, notamment à travers le monologue le plus célèbre de la littérature anglaise, « être ou ne pas être ». De même, l’aspect intime de la pièce, au plus près des personnages, peut se retrouver dans l’opéra et notamment salle Favart car, d’après son nouveau directeur Louis Langrée, cet écrin de théâtre à l’italienne permet d’asseoir la dramaturgie, aussi bien qu’il peut présenter l’œuvre à la manière d’une musique de chambre.
Louis Langrée et Cyril Teste réhabilitent ainsi à l'Opéra Comique cette œuvre incontournable du répertoire.
2- Premier solo de saxophone de l'histoire de l'opéra !
D’abord prix de Rome puis directeur des Beaux-Arts, de premier musicien nommé commandeur de la Légion d’honneur à successeur d’Auber à la tête du Conservatoire de Paris, Ambroise Thomas a souvent été taxé d’académiste par les Romantiques en raison de sa carrière institutionnelle exemplaire. Mais cela ne l’a pas empêché d’être en accord avec son temps, un curieux romantique, avide de nouveautés.
C’est par exemple son ami Adolphe Sax, facteur d'instruments et inventeur, qui lui présenta le saxhorn et le saxophone qu’il venait de créer. Thomas fut directement séduit par le son de ces instruments et décida de les intégrer à l’orchestre pour Hamlet, en offrant même le premier solo de saxophone du répertoire lyrique.
« Il y a dans ce morceau bien des fluctuations de mouvement que le sentiment peut seul indiquer » (notes laissées sur la partition d’Hamlet par son compositeur, à propos d’un air) : comprenant la prépondérance de la dramaturgie et la prégnance du rôle du compositeur dans la mise en scène, Ambroise Thomas a déjoué les codes de l’orchestration en fosse d’orchestre en s’intéressant à la spatialisation et à la musique de scène, l’érigeant ainsi en un artiste visionnaire, au même titre que son introduction du saxophone en tant qu’instrument moderne, dans un répertoire conventionnel.
Par ailleurs, son choix d’intégrer de nouveaux instruments à son orchestre afin de donner toute sa valeur à l’expression des sentiments amène à considérer Ambroise Thomas comme un Romantique, malgré la critique formulée envers sa carrière académique. Son désir d’adapter une pièce de Shakespeare, grande inspiration pour le mouvement Romantique, constitue un choix clivant : symbole de liberté et de rébellion au XIXème siècle, Shakespeare représente l’affranchissement certain des normes classiques, amenant la violence, la folie et le rêve sur scène. Un choix qui allait alors à l’encontre du conservatisme. Raison de plus pour découvrir le Hamlet français !
Pour en savoir plus sur l’histoire du saxophone, vous pouvez écouter ici un podcast France Culture.
3 - Stéphane Degout, le miroir d’Hamlet
Bien que cette œuvre soit très peu jouée en France depuis le milieu du XXème siècle, Stéphane Degout est l’un des rares barytons français à avoir déjà joué le rôle d’Hamlet dans sa langue natale. C’est en 2011, dans une mise en scène d’Olivier Py, qu’il joue le personnage de Shakespeare dans la version française de l’opéra d’Ambroise Thomas à Strasbourg, puis à Bruxelles, à Vienne et enfin à Paris, en 2018.
Aujourd’hui, Stéphane Degout est heureux de reprendre le rôle d’Hamlet, un rôle complexe qui apporte toujours de nouvelles interprétations: « Avec Cyril Teste, on est beaucoup dans l’échange, et c’est assez passionnant ! C’est encore un autre registre et une autre approche qu’Olivier Py qui, finalement, était moins dans la recherche de la psychologie juste. [...] On a, dans le travail de Cyril Teste, trouvé un Hamlet qui est en total effondrement intérieur. Il est détruit, même si la vengeance est bien accomplie à la fin de l’œuvre. On travaille particulièrement sur ce point, et cela demande beaucoup d’énergie. D’ailleurs, je pense qu’à la fin de la production, ma fatigue sera plus psychique que physique » (cf. entretien avec ForumOpéra).
Pour en savoir plus sur Stéphane Degout, découvrez son interview dans Télérama.
4 - Du cinéma à l’opéra avec Cyril Teste
Déjà en 2017 avec la pièce Festen, au Théâtre de l’Odéon, Cyril Teste interrogeait l’intimité des personnages en utilisant la performance filmique. Pour le metteur en scène, le cinéma au théâtre permet de montrer le hors-champ, de mettre en avant ce qu’est la représentation et le vrai visage de cette représentation en dehors de l’image que se donne un personnage, comme il a également pu le mettre en œuvre avec Fidelio en septembre 2021 à l’Opéra Comique. Être hors cadre, reconstruire de la marge, permettre à Hamlet de chercher ce qui se cache derrière l’image, le faire metteur en scène de sa propre vie. Hamlet metteur en scène offre à voir la pièce dans Le Meurtre de Gonzague pour démasquer les criminels - tandis que le Spectre, son père, peut être vu comme le grand ordonnateur, celui qui aurait écrit Hamlet. Il semblerait d'ailleurs que Shakespeare lui-même ait interprété le spectre lors de la création de sa pièce à la fin du XVIème siècle.
L'utilisation de l'image filmée et diffusée en temps réel permet à Cyril Teste de développer son travail sur l'espace et le temps, ceux de la pièce, du spectacle, du spectateur. Avec la caméra, il peut ainsi rendre audible la vérité que poursuit Hamlet, présenter la folie de celui qui cherche à faire éclater cette vérité, produire un récit et une fiction au temps présent.
Cyril Teste s’est notamment inspiré du cinéma de Cassavetes, Vinterberg, Antonioni ou encore Polanski. Il y aura sur scène deux écrans pour appuyer l’histoire et dynamiser l’espace scénique. Intégrer du cinéma dans un opéra adapté d'une pièce de Shakespeare n’est pas anodin, tant son œuvre a inspiré une multitude de réalisateurs et possède toujours une résonance actuelle.
Retrouvez l’interview de Cyril Teste donnée en 2018
5 - Un Hamlet contemporain et français
La mise en scène de Cyril Teste promet de résonner avec l’époque contemporaine. Hamlet ne se passe pas au Moyen-Âge mais bien dans les années 2020, avec une scénographie moderne où les décors de Ramy Fischler représentent un espace intime et luxueux. C’est par ailleurs sous la forme d’une investiture que Claudius apparaît sur scène, l’inspiration venant nettement d'une investiture présidentielle récente. D’où la présence importante de la caméra sur scène, symbole de la communication et de la représentation.
Les costumes sont aussi logiquement très actuels, avec pour credo l’élégance d’une classe sociale aisée. Isabelle Defin, créatrice des costumes, s’est aussi beaucoup inspirée du cinéma du XXIème siècle, notamment de The Ghost Writer (Polanski) ou encore Shame (Steve McQueen) pour le personnage d’Hamlet.
La scénographie et les costumes évoquent l’importance du pouvoir, bien que pour Ramy Fischler « La scénographie est moins un décor qu’un espace de projection, une construction mentale ».
Hamlet, qu’il soit moderne, futuriste ou médiéval, aura toujours un écho chez le spectateur. C’est ce que rappelait déjà Germaine de Staël en 1814 : « D’autres hommes assisteront à leur tour aux mêmes incertitudes et se plongeront de même dans l’abîme sans en connaître la profondeur ».