
L'Île de Merlin ou Le Monde renversé © Baptiste Jayat
- Est-ce que vous pouvez nous présenter le spectacle L'Île de Merlin ?
L’Île de Merlin ou le monde renversé est un opéra en un acte de Gluck composé en 1753 sur un livret de François Anseaume qui avait lui-même retravaillé un texte préexistant. C’est une œuvre qui appartient au registre du théâtre de foire, avec une dimension de comédie traditionnelle et populaire, portée par les personnages de Scapin et Pierrot. C’est aussi une œuvre qui relève du conte philosophique emblématique de l’esprit des Lumières. Enfin, on est tout à fait dans « l’esprit Favart » puisqu’il s’agit d’une œuvre qui alterne moments chantés et passages joués.
Le spectacle est constitué des douze scènes du livret, auxquelles j’ai ajouté un prologue et un épilogue. On suit les aventures de Pierrot et Scapin qui, après avoir fait naufrage, se retrouvent dans un un monde « renversé » qui se révèle être l’île du magicien Merlin. La succession des tableaux correspond à la galerie des personnages que rencontrent Scapin et Pierrot, à laquelle se greffe une intrigue amoureuse qui est surtout un moteur d’action et de comédie !
- En quoi cette œuvre fait-elle écho à la société actuelle ?
Scapin et Pierrot comparent le Paris de leur temps avec ce « monde renversé » qu’ils découvrent. Tous deux, « misérables et indigents », sont des artistes, des acteurs de comédie, et ils s’étonnent par exemple du sort si favorable qui est fait aux artistes dans ce drôle de monde. Dans notre période où le sort des artistes est si menacé, cela résonne. Et puis, il y a tout notre contexte général d’inégalités économiques grandissantes qui est finalement pointé par ce jeu de l’inversion. C’est très étonnant d’entendre des phrases faire écho si justement avec notre présent, comme ça, par petites touches, qu’il s’agisse du sort des auteurs contemporains, du traitement des actrices par les hommes, etc. C’est pour cette raison que j’ai eu beaucoup de plaisir à mettre cette œuvre en scène : la légèreté du conte est inscrite dans le monde social et c’est une chose qui m’intéresse toujours beaucoup dans mon travail de metteure en scène.
- Donnez-nous 3 bonnes raisons de venir voir l'Île de Merlin.
Je dirais qu’il y aura d’abord le plaisir de découvrir une œuvre dans laquelle la comédie et la musique sont à ce point liées, comme de l’orfèvrerie, de la mécanique de grande précision. Toute la vocalité est pleinement dramatique et il y a une poésie liée au texte rimé qui créé la continuité du jeu théâtral et du chant. C’est dans cette direction que nous avons travaillé aussi bien dans la mise en scène que dans la direction musicale. Allier la précision et le plaisir du dire, aussi bien dans le chant que dans les parties théâtrales.
Ensuite, il y aura de jolies surprises dans le traitement des vaudevilles qui émaillent le livret, ces airs populaires joués en arrière-plan du texte parlé. Nous avons été fidèles au principe du vaudeville comme clin d’œil au spectateur et connivence partagée avec le public. Plutôt que de chercher la reconstitution historique, avec l’exécution des vaudevilles indiqués dans la partition et qui ne font plus sens pour nous, on s’est donné la liberté d’actualiser le principe pour mieux en respecter l’esprit. Enfin, puisque nous créons dans la salle Bizet de l’Opéra-Comique, je crois que L’Île de Merlin sera une belle occasion de découvrir la salle sous un autre jour, puisque toute la scénographie a été pensée à partir des caractéristiques de cette petite salle. De ses contraintes, nous avons fait une identité visuelle pour le spectacle et nous avons tiré parti de toute la riche ornementation de la salle pour nous glisser dedans et la détourner aussi.

L'Île de Merlin ou Le Monde renversé © Stefan Brion
- Pouvez-vous nous parler de votre travail avec les Académicien.ne.s ?
Ce projet a été pensé pour réunir les Académicien.ne.s dans une production du Théâtre national de l’Opéra-Comique et l’œuvre a aussi été choisie pour correspondre à la composition de l’Académie de cette saison. Comme il est presque impossible de trouver l’œuvre qui colle absolument à la distribution existante, nous avons aussi fait appel à trois chanteurs extérieurs à l’Académie, ainsi qu’à un comédien pour l’unique rôle non chanté. La distribution réunit ainsi 8 interprètes académicien.ne.s et non académicien.ne.s pour les 12 personnages du livret. Certains interprètes incarnent plusieurs personnages et d’autres un seul. Outre les interprètes lyriques, la production a aussi fait appel à l'une des deux pianistes-cheffes de chant de l’Académie et j’ai eu le plaisir de collaborer avec les deux chef.fe.s académicien.ne.s. Je crois que ce genre de production a beaucoup de sens dans une Académie car il permet de créer une autre rencontre entre les jeunes artistes, soudés autour d’un objet artistique commun.
- Comment votre expérience de comédienne et de metteuse en scène vous aide-t-elle à guider les académicien.ne.s dans leur interprétation des rôles ?
J’attache beaucoup d’importance à guider les interprètes lyriques vers un jeu qui soit le plus incarné et le plus vrai possible et que toute parole, dite ou chantée, soit connectée à la fois à la pensée et au corps. C’est un travail exigeant pour un chanteur ou une chanteuse qui doit tenir d’abord toutes les exigences inhérentes au chant. Quand je mets en scène, je dirige les interprètes vers une prise de conscience des gestes « parasites », des conventions, des formes mécaniques parfois empruntées au récital, qui empêchent le personnage d’apparaître dans sa chair, son concret, son présent. J’attache aussi beaucoup d’importance à la précision de la pensée, à cet effort de connecter en permanence ce qui est dit à une pensée active, une pensée au présent. C’est valable aussi pour le chant. Enfin, mon travail emprunte des éléments de langage chorégraphique. Pour cette production, même si je n’ai pas été accompagnée par un.e chorégraphe, j’ai dirigé les interprètes vers cette poésie du corps en mouvement, porteur de poésie et d’humour. Mettre en scène, c’est aussi styliser la présence du corps de l’interprète. C’est ce qui permet de créer un univers à la fois concret et poétique.
Myriam Marzouki