À 15 jours de la première du premier opéra, dans l’ordre de composition, de Camille Saint-Saëns, quelques clefs pour entrer dans ce chef d’œuvre oublié du répertoire lyrique français et se préparer au spectacle qui se tiendra du 9 au 19 juin salle Favart.
1/ Un « timbre d’argent », qu’est-ce que c’est ?
À la lecture du titre de l’opéra de Camille Saint-Saëns, il arrive que l’on se surprenne à se demander ce que peut bien être un « timbre d’argent ». Prenez le Littré, vous y lirez la définition suivante : le « timbre » est une « cloche sans battant, qui est frappée en dehors par un marteau », servant la plupart du temps à appeler. On imagine aisément que l’usage d’un tel objet, associé à la bourgeoisie naissante du XIXe siècle, et que l’on retrouve par exemple chez un Zola ou un Dumas père, a presque disparu aujourd’hui. Mais dans cet opéra, l’objet ne sert pas à appeler ; il sonne pour ainsi dire le glas, chacun de ses tintements par le peintre Conrad enrichira ce dernier tout en causant au hasard la mort de quelqu’un.
2/ Un livret inspiré de Faust… et de Pygmalion
Après Goethe, lui-même inspiré par les pièces du dramaturge anglais Christopher Marlowe, la fascination pour le mythe de Faust s’est emparée de l’imaginaire musical et littéraire dans la France romantique du XIXe siècle. Le Timbre d’Argent raconte en effet l’histoire d’un peintre désargenté, Conrad, qui finit par conclure une sorte de pacte faustien avec un médecin appelé Spiridion. Mais un autre mythe semble également avoir inspiré l’œuvre : Pygmalion. Rappelons que l’un des deux librettistes de l’œuvre, Jules Barbier, a écrit le livret des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, où il est question d’une poupée, Olympia, de laquelle Hoffmann est tombé amoureux… Dans Le Timbre, Conrad tombe amoureux du modèle de l’un de ses tableaux, une danseuse qu’il a peinte en Circé.
3/ Un opéra qui a subi de nombreuses transformations
Il y a bien sûr de nombreux cas d’opéras subissant des remaniements d’une version à une autre. Il est toutefois intéressant de souligner qu’entre la première et la dernière version du Timbre d’argent se sont écoulées près de 50 années ! D’abord, avant qu’il ne parvienne entre les mains de Saint-Saëns en 1864-1865, le livret originel n’avait pas trouvé grâce aux yeux de plusieurs compositeurs – parmi lesquels Gounod. D’une certaine manière, Saint-Saëns ne s’en satisfit pas non plus et proposa de le modifier. La création de l’œuvre a donc été retardée, tantôt pour cause de modifications – parfois intrusives, tantôt par la force d’événements extérieurs – en l’occurrence, la guerre de 1870. Créé en 1877 au Théâtre national lyrique de Paris, l’opéra en est déjà à sa 4e version, ce qui n’empêcha pas Saint-Saëns de la remanier jusqu’à sa dernière représentation au Théâtre de la Monnaie, en 1914.
4/ Le personnage principal féminin est… une danseuse
Et qui plus est muette ! Fait rare dans un opéra, le personnage féminin principal du Timbre d’argent est en effet une danseuse. Dénommée Fiammetta, elle apparaît de prime abord sous les traits peints de Circé. Dans les années de gestation de l’œuvre, cette particularité ne fut d’ailleurs pas sans poser problème au directeur du Théâtre lyrique de l’époque, Léon Carvalho, qui voulait que sa femme chanteuse obtienne le premier rôle. Passée par le ballet de l’Opéra national de Paris ainsi que par la compagnie de Pina Bausch, c’est la danseuse Raphaëlle Delaunay qui interprète le rôle de Circé/Fiammetta dans cette production de l’Opéra Comique.
5/ Une œuvre qui n’a pas été représentée depuis un peu plus d’un siècle
Parmi les douze opéras composés par Saint-Saëns, Samson et Dalila, créé d’ailleurs la même année que Le Timbre d’argent en 1877, est immanquablement le plus connu et le plus représenté dans le monde aujourd’hui. Le Timbre d’argent, lui, n’a pas été représenté depuis 1914, et il n’existe pratiquement aucune trace d’enregistrement de l’œuvre. Cela tombe bien, l’enregistrement et la parution d’un livre-disque issu de la production de l’Opéra Comique est prévu pour la collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane. En attendant, on peut trouver quelques rares enregistrements de la mélodie « Le bonheur est chose légère », extrait de l’opéra. En voici un, interprété par la soprano française Ninon Vallin.