À lire avant de voir Roméo et Juliette

« L’amour ne peut pas donner une idée de la musique,
la musique peut en donner une de l’amour...
Pourquoi séparer l’un de l’autre ? Ce sont les deux ailes de l’âme. »

Hector Berlioz

Publié le 3 décembre 2021
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L’Italie des cités médiévales, des palais peints à fresque, des tours crénelées et des balcons de marbre… Quelle promesse pour un théâtre au XIXe siècle, quand le caractère pittoresque des décors de scène comptait autant que l’éloquence des interprètes !

Lorsque cette perspective décorative se combinait à l’esprit de Shakespeare, un directeur de salle se frottait les mains. Car comme l’avait décrété Victor Hugo en 1827, dans la préface de Cromwell, Shakespeare « c’est la sommité poétique des temps modernes, c’est le drame qui peint la vie, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie. »

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Au XIXe siècle, plus de deux cents ans après sa mort, Shakespeare fournit donc l’inspiration, sinon le sujet, de nombreuses pièces et opéras. Cependant, quoique populaire et romantique à souhait, l’histoire des amoureux Juliette et Roméo pose quelques difficultés à l’opéra. Elle requiert, pour rendre la représentation crédible, deux interprètes aussi jeunes que beaux. Berlioz estime aussi que, dans un répertoire depuis toujours dévolu aux passions du cœur et foisonnant de déclarations et de duos, « la sublimité de cet amour en rend la peinture dangereuse pour le musicien ». D’où sa propre transposition de la pièce en symphonie dramatique (1839), avec chœurs et solistes mais sans les voix des personnages éponymes…

Au XVIIIe siècle, les amants de Vérone sont bien devenus des personnages lyriques mais… dans des comédies se concluant par leur mariage ! Benda a ouvert le bal en Allemagne en 1776, avec un singspiel créé à Gotha. Dalayrac et Steibelt lui ont emboité le pas à Paris, à l’Opéra-Comique et au Théâtre Feydeau, en plein tourmente révolutionnaire. L’heure était alors à la célébration du contrat matrimonial, présenté comme socle et ciment pacificateur de la société républicaine.

Comment renouer ensuite avec les amours « lamentables » de Roméo et Juliette ? Et comment traiter l’origine même du tragique, l’autorité paternelle des seigneurs Capulet et Montaigu, en un XIXe siècle où le Code civil renforce l’autorité patriarcale ?

Heureusement, si les personnages sont italiens, c’est aussi d’Italie qu’arrivent, dans cette capitale cosmopolite qu’est le Paris romantique, des opéras tragiques signés Zingarelli (1812), Vaccai (1827), Bellini (1833), tandis qu’une troupe anglaise vient y révéler les sombres couleurs dramatiques du théâtre shakespearien.

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Épris du sujet depuis son séjour de jeunesse à la Villa Médicis – récompense du Grand Prix de Rome –, Charles Gounod décide de s’y consacrer vingt-cinq ans plus tard, en pleine maturité, porté par les succès de Faust (1859) et de Mireille (1864). Lui qui a mis en musique Goethe, Mistral et Molière ne s’effraie d’aucun auteur majeur, et il entend bien relever le défi lancé par l’ami Berlioz. Les couleurs italiennes, la peinture amoureuse et l’expression sincère l’enthousiasment. Enfin et surtout, il a des collaborateurs idéaux.

Ses librettistes, les habiles Jules Barbier et Michel Carré, lui offrent un livret assez affranchi de l’original pour comporter un personnage de page, confié à une mezzo en travesti, un grand bal, deux scènes de mariage et… un record de quatre duos d’amour.

Le dernier, au dénouement, respecte la longue tradition britannique, et non l’original shakespearien que révèlera bientôt la belle et fidèle traduction de François-Victor Hugo, le fils du poète.

Le Théâtre-Lyrique, scène de création concurrente de l’Opéra-Comique et de l’Opéra sous le Second Empire, a produit les succès de Gounod et l u i est acquis. Son directeur Léon Carvalho, génial metteur en scène, a initié le compositeur aux ficelles du théâtre. Formations musicales, peintres décorateurs et artistes sont de premier ordre, à commencer par l’épouse de Léon, Caroline Miolan-Carvalho, brillante créatrice de Marguerite et de Mireille, et le ténor Michot. Car contrairement aux opéras italiens, le Roméo français ne peut être chanté que par un homme.

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Gounod compose d’une traite, au printemps 1865, ce qui doit d’abord être un opéra-comique puis qui devient un opéra, sans qu’on connaisse les raisons de ce revirement. Orchestrer prend plus de temps en raison d’une grave crise dépressive, qui amène Gounod à se convaincre que Roméo sera son dernier opéra. Pourtant, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts et, dans la foulée, l’œuvre entre en répétitions en août 1866. Sous la direction du maestro Deloffre, Caroline et Michot entourent Cazaux, naguère créateur de Méphistophélès, désormais converti en Frère Laurent. Gounod a fait imprimer sa partition, ce qui laisse à Carvalho toute liberté de la couper, ce qu’il ne manque jamais de faire. Sans doute est-ce nécessaire car la première du 27 avril 1867 dure presque 4h45, dont 1h15 de changements de décors…

Le contexte de création est absolument idéal : l’Exposition universelle a ouvert le 1er avril sur le Champ-de-Mars, attirant à Paris le monde des arts, des sciences et des techniques. Le Théâtre- Lyrique se place à la hauteur de ses concurrents, en particulier l’Opéra, qui affiche Don Carlos de Verdi depuis le 11 mars, et les Variétés, qui ont lancé La Grande Duchesse de Gerolstein d’Offenbach le 12 avril. Le 27, Roméo remporte un immense succès, au retentissement aussitôt international. Il est joué dans l’année même à Bruxelles (en français), à Dresde et Vienne (en allemand), à Londres, Milan et New York (en italien). Roméo s’impose et restera comme le titre le plus populaire de Gounod.

En 1868, la ruine de Carvalho arrête l’exploitation du spectacle après 102 représentations. Une reprise à l’Opéra échoue. Mais l’Opéra-Comique des années 1870 récupère les chefs-d’œuvre du Théâtre-Lyrique disparu, en particulier ceux de Gounod, tout en engageant Miolan- Carvalho (d’où la présence de son profil en médaillon dans le foyer de notre théâtre). Roméo y reparait en 1873, avec un éclat particulier.

C’est en effet la première fois que la salle Favart joue un titre qui n’est plus un opéra-comique, ceci à double titre : il est dépourvu de dialogues parlés et il s'achève tragiquement. Prenant lui-même la tête de l’Opéra-Comique en 1876, Carvalho porte le nombre de représentations à 391, jusqu’au coup d’arrêt du terrible incendie qui ravage le théâtre en 1887.

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L’année suivante, l’Opéra Garnier récupère solennellement l’œuvre. À chaque fois, elle a fait l’objet d’adaptations – supervisées par Bizet en 1873 – et à chaque fois Gounod a publié une nouvelle version, sans trancher en faveur d’une seule. Si bien que c’est à partir de celle de 1888 que chaque chef élabore aujourd’hui sa version, en fonction des impératifs de production et de ses options dramaturgiques.

Hormis deux soirées de gala dans l’entre - deux guerres, l’Opéra-Comique a repris l’œuvre en 1959-1960 (pour 26 représentations), avec Janine Micheau et Marcel Huylbrock dirigés par Jésus Etcheverry, et en 1994 (pour 8 représentations), avec Nuccia Focile et Roberto Alagna dirigés par Michel Plasson. Avec Julie Fuchs et Jean-François Borras, nous reprenons Roméo et Juliette à sa 426e représentation.

L’originalité de notre projet, confié à la baguette de Laurent Campellone, est de confronter l’opéra au drame de Shakespeare, pour injecter dans celui-là l’urgence, la fulgurance, l’âpreté et la violence de celui-ci. D’où l’idée d’inviter Éric Ruf à reprendre ses magistrales mise en scène et scénographie de 2015, qui ont remis la pièce au répertoire de la Comédie-Française, dans une vision jeune et actualisée, débarrassée de sa lourde tradition décorative.

Retour à Shakespeare, avec de grands interprètes lyriques, pour une double utopie : en explorant les voies de mutualisation possibles de nos productions, faire dialoguer les œuvres.
 

Roméo et Juliette

Charles Gounod

13 au 21 décembre 2021

Lors d’un bal, Roméo et Juliette tombent amoureux au premier regard. Mais ils vivent dans une société patriarcale et verrouillée, où se brise toute aspiration personnelle au bonheur.

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