Les Sentinelles

Depuis sa fondation – par une femme, Catherine Vondrebeck, en 1714 –, l’Opéra-Comique est le théâtre le plus créatif de France. D’abord indépendant, puis subventionné car devenu institutionnel en 1762, il doit son rayonnement et sa longévité à sa créativité incessante, produisant de nouvelles pièces et réinventant son genre où texte et musique se fécondent mutuellement. Son répertoire compte plus de 3000 titres dont le premier fut créé voici 310 ans, en février 1715, à la Foire Saint-Germain.

En avril 2025, l’Opéra-Comique assure la création parisienne des Sentinelles, après sa création mondiale en novembre 2024 à l’Opéra National de Bordeaux, l’oeuvre étant le fruit d’une commande à laquelle s’est aussi associé l’Opéra de Limoges.

Il s’agit, comme nos créations de 2024 – Archipel(s) d’Adrien Borne et Isabelle Aboulker, Picture a day like this de Martin Crimp et George Benjamin – d’une oeuvre totalement originale, par sa partition musicale mais aussi par son écriture dramaturgique, et surtout par son sujet.

Si l’opéra peut saisir toutes les nuances de la vie intime, tant la musique sait exprimer l’informulable, alors des créateurs peuvent choisir, plutôt que l’adaptation de légendes ou d’oeuvres du passé, d’y porter nos semblables et d’y faire écho à ce monde-ci. L’autrice-metteuse en scène Chloé Lechat et la compositrice Clara Olivares nourrissent ainsi une ambition propre à faire avancer l’opéra à la rencontre d’un public plus large. Elles croient en ses capacités à endosser de nouveaux récits, à s’ouvrir aux questions contemporaines, à animer des figures d’aujourd’hui.

Si tout opéra est une oeuvre collective, le leur est vraiment le fruit d’un processus d’écriture conjoint. Elles tentent aussi de fusionner théâtre et musique en associant trois chanteuses, une comédienne et un orchestre narrateur. Leur spectacle répond enfin à un défi lancé par l’Opéra National de Bordeaux, celui du « zéro achat », tous ses éléments étant issus de productions antérieures de Bordeaux et de Paris.

Les Sentinelles, oeuvre de deux jeunes femmes, met en scène des protagonistes féminines. Ce choix courageux est visionnaire. Car les femmes, qui ont gagné leur place pleine et entière dans la société occidentale, sont aujourd’hui majoritaires dans les pratiques culturelles, et singulièrement à la sortie des conservatoires, alors que le goût du public et les programmations privilégient encore les opéras du XIXe siècle, lesquels mobilisent deux à trois fois plus de chanteurs que de chanteuses.

Avec Les Sentinelles, le Théâtre national de l’Opéra-Comique continue donc à explorer les voies d’avenir de la création lyrique, avec ses artistes et partenaires et dans de stimulantes synergies. 

Deux appartements distincts. D’un côté vivent A et sa fille E ; de l’autre, B et C, un couple de femmes mariées depuis dix ans.

L’histoire débute avec un flash forward : C, ivre, se défend de toute responsabilité concernant ce qui vient d’arriver à E. Le film se rembobine ensuite puisque nous sommes dans le cabinet du / de la pédopsychiatre de E. Zèbres, cygnes, inséparables… sont évoqués autant d’animaux qui aident cette enfant précoce à comprendre le monde angoissant des humains.

E surprend une conversation téléphonique dans laquelle sa mère A évoque sa nouvelle rencontre amoureuse avec C. De son côté, C peine à avouer à B son désir d’ouvrir leur couple. B finit par tomber sur une lettre d’amour que A a écrit à C, et comprend leur liaison.

S’ensuit une première rencontre officielle entre A, B, C et E. Les trois femmes prennent la décision de s’engager dans une histoire d’amour commune, bientôt matérialisée par l’installation d’un lit pour trois dans leur chambre. Mais E semble incapable de faire son nid dans ce nouveau ménage. De retour en thérapie, elle évoque ses pensées sombres. A avoue elle aussi se sentir délaissée, se comparant à un minuscule cristal de glace, tel ceux qu’on voit apparaître dans le prédicteur de temps fabriqué par E.

Tout s’accélère. A se fait surprendre en train de fouiller dans l’armoire à pharmacie de C. 
Elle est suspectée de donner des médicaments à sa fille sans accord médical. À la fête d’anniversaire de B, le regret et la jalousie forment un épais brouillard, plongeant les trois amantes dans la cécité. Jusqu’à ce qu’un cri transperce les murs.