L’Opéra-Comique est historiquement le théâtre de la jeunesse, ce que montre, dans le foyer du théâtre (côté est), la peinture d’Henri Gervex, L’Opéra-Comique à la Foire Saint-Laurent au XVIIIe siècle.
Par son genre accessible, mêlant le chant aux dialogues parlés dans des intrigues divertissantes, il devint au XIXe siècle le théâtre des familles – et des entrevues de mariage… Par son acoustique et les proportions intimistes de sa salle, il fut aussi, dès la Révolution, l’institution la plus accueillante, et ce officiellement, pour les interprètes, les auteurs et les compositeurs débutants.
Tout jeune, on y jouait la comédie. Des enfants étaient employés comme figurants en fond de scène afin d’accentuer la perspective figurée par les décors peints. Ceux qu’on appelait les « enfants de la balle » faisaient leurs débuts vers 15-16 ans, telle la petite Mlle de Chantilly, future fameuse Justine Favart.
Mais si les rôles d’enfants parsemaient le répertoire, ils étaient quasi toujours endossés par des femmes dotées d’une voix claire et d’un physique juvénile. Comme ils permettaient de déployer d’autres talents de comédienne, ils étaient prisés des artistes et appréciés du public. En 1789, Les Deux Petits Savoyards de Marsollier et Dalayrac offrit ainsi à La Saint-Aubin et Rose Renaud deux beaux rôles-titres enfantins.
Cette tendance perdurant, on imagine la sensation que produisit à l’Opéra-Comique, en 1875, le chœur des gamins « Avec la garde montante » au premier acte de Carmen. L’irruption d’un groupe de véritables enfants, avec leur fraîcheur et leur naturel, apportait au spectacle une surprenante note de réalisme. Située juste avant l’entrée en scène de l’héroïne, leur prestation orienta la perception de l’œuvre dans une voie radicalement nouvelle.
Si les protagonistes juvéniles se sont multipliés à l’opéra au XXe siècle – de Hänsel und Gretel de Humperdinck à The Turn of the Screw de Britten – ils ont presque toujours continué à être endossés par des femmes. Mais le genre « opéra pour et par les enfants » est apparu, stimulé par la démocratisation de l’enseignement musical et le développement des maîtrises. Pour Kurt Weil, Paul Hindemith ou Benjamin Britten, il n’y avait aucune contradiction entre la qualité de l’écriture musicale et la vocation sociale de l’art.
Isabelle Aboulker (née en 1938) fut au milieu des années 1970 une pionnière de l’écriture pour voix d’enfants en langue française, un art qu’elle illustre en conjuguant trois exigences : le respect de leur tessiture, la musicalité du texte et la qualité du récit. Ses nombreuses œuvres – mélodies, opéras de chambre, contes musicaux – sont aussi bien produites par de grandes maisons que travaillées dans les conservatoires et écoles de musiques, et elle a reçu en 2021 le Grand Prix Sacem du répertoire Jeune Public pour l’ensemble de sa production.
Un nouveau pas est franchi avec Archipel(s). En effet, les enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, qui endossent en 2024 leur première création avec cette partition d’Isabelle Aboulker, sont en quelque sorte les co-auteurs du livret. C’est inédit : le texte de l’opéra n’est pas l’adaptation d’un conte, ou de la vie d’une personnalité, mais le fruit de discussions conduites par son auteur, le romancier et journaliste Adrien Borne (né en 1981). L’objectif : que cet opéra émane le plus possible de ses interprètes, qu’il parle de leurs préoccupations avec les mots de la jeunesse d’aujourd’hui.
Les 85 maîtrisiennes et maîtrisiens de l’Opéra-Comique font ainsi l’expérience d’un spectacle total, guidés par Isabelle Aboulker et Adrien Borne, encadrés par l’équipe de la Maîtrise populaire, et portés à l’excellence par le chef d’orchestre Mathieu Romano, le metteur en scène James Bonas, le chorégraphe Ewan Jones et l’orchestre des Frivolités Parisiennes. Leur engagement est celui de l’Opéra-Comique : faire de l’art lyrique un vecteur d’épanouissement et du spectacle le lieu du partage.
Argument
Prologue
Un enfant se prépare, un autre s’y refuse. À quoi exactement ? À un passage important qui les séparera peut-être pour toujours. Celui qui reste offre ses feutres à celui qui part.
Acte I - La colonie
C’est jour de fête pour tous les jeunes : ceux qui ont 20 ans cette année s’en vont pour ne plus revenir. Ils ont été préparés, conditionnés. Les autres les encouragent, les célèbrent, menés par Nina, Pinta et Santa-Maria, la trinité qui les gouverne avec une joie forcenée.
Mais l’enfant du prologue, celui qui reste, pose des questions qui dérangent : qu’advient-il de ceux qui partent ? La seule explication qu’il obtient est la suivante : les prénoms sont attribués aléatoirement le jour du départ.
Mais ses doutes ne pourraient-ils pas gagner les autres enfants ? Il est neutralisé et envoyé pour examen chez le Puiseur, qui sonde les âmes. Il s’avère que l’enfant rétif est sentimental, mélancolique. Bref, il pense par lui-même.
La trinité organise donc son bannissement vers l’île en marge.
Acte II - L’Île de Spinalonga
C’est tout près, l’obscurité y règne. On n’y grandit plus, on y est libre de ses pensées. On peut y changer de peau quand et comme on veut. Plus exactement, le Tricoteur lit en chacun pour réaliser le costume approprié, au gré des rêves et des passions de la journée. Et cela se répète, comme un jeu.
L’Enfant ne comprend pas la finalité de ce système, fondé sur une fantaisie triste et sans but, un perpétuel recommencement.
Il rencontre Mavrick, marginalisé parmi ces marginaux, qui l’emmène dans l’atelier de recyclage des secondes peaux.
Là se trouve un passage qui conduit à l’océan, où l’existence d’un unique bateau incite l’Enfant à partir.
Acte III - L’océan
Au milieu de l’océan, l’Enfant qui se croyait seul se retrouve environné de lucioles bienveillantes.
Il peut enfin exprimer ses aspirations : être lui-même et partager ses rêves.
Distribution
Compositrice Isabelle Aboulker • Livret Adrien Borne • Direction musicale Mathieu Romano • Directrice artistique de la Maîtrise Populaire Sarah Koné • Mise en scène James Bonas • Interprètes Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique • Orchestre Les Frivolités Parisiennes