Franz Schubert (1797-1828)

Publié le 17 janvier 2024
fr

Franz Schubert naît le 31 janvier 1797 – cinq ans après la mort de Mozart – à Lichtental, faubourg qui sera intégré à Vienne en 1850. Schubert père y dirige une école. Violoncelliste amateur, il encourage ses enfants à pratiquer la musique. Comme son aîné Ferdinand, Franz pratique le violon, le piano et le chant. Myope et tôt affublé de lunettes, il entre au Konvikt, le collège et conservatoire impérial, à 11 ans – quelques mois avant la mort de Haydn. Parmi ses professeurs figure Salieri, maître de chapelle de l’empereur et fameux compositeur d’opéras (dont trois écrits à Paris lors d’un séjour officiel avant la Révolution française).

À sa sortie du Konvikt, Schubert suivra encore ses leçons et trouvera aussi d’autres professeurs, tout en intégrant un orchestre d’élèves dirigé par son fidèle ami Joseph von Spaun, futur haut fonctionnaire. Depuis l’adolescence, il écrit des quatuors à cordes, des chœurs et des lieder en quantité (144 lieder en 1815 !). Certains, dont Marguerite au rouet (Gretchen am Spinnrade), sur des poèmes de l’illustre Goethe qui, âgé de 67 ans en 1818, néglige l’humble demande de dédicace que lui adresse le jeune homme. L’année suivante, Schubert compose le Quintette en la majeur La Truite (Die Forelle), d’après son lied de 1817 sur un poème de Schubart. Il le fait jouer lors d’un concert privé, mais ne le publie pas.

Schubert aime aussi les formes plus ambitieuses, symphonies, messes et Singspiele, ces opéras-comiques typiquement viennois dont le parangon est La Flûte enchantée. Il a abordé la composition lyrique à 14 ans. La plupart de ses projets scéniques restent cependant à l’état d’ébauches, faute de perspectives concrètes de production, même si voient le jour, en 1820, une musique de scène pour une féerie, La Harpe enchantée, et le singspiel en un acte Les Jumeaux, qui est joué six fois au Théâtre de la Cour de la Porte de Carinthie (Kärntnertortheater) :
 

« La partition comporte de jolies choses mais l’ensemble reste trop sérieux  »

estime Franz Xaver Mozart, le fils d’Amadeus. Schubert, lui, est trop timide pour aller saluer le public. L’année suivante, ce théâtre lui refusera un poste d’assistant. Ni virtuose ni chef d’orchestre, Schubert ne vit pas de sa musique mais de l’enseignement, scolaire d’abord, puis musical. Entourés d’amis poètes stimulants (Franz von Schober, Johann Mayrhofer), qu’il met en musique et qui l’hébergent tour à tour, il développe son réseau qui comprend aussi ses élèves artistocrates.

Franz Schubert par son ami Josef Eduard Teltscher (1801-1837), portraitiste viennois également proche de Beethoven

La capitale du Saint Empire romain germanique est devenue celle de l’Empire d’Autriche en 1805. Siège du gouvernement placé en 1821 sous la sévère autorité du chancelier Metternich, Vienne fourmille de scènes officielles, de théâtres populaires, d’auberges accueillantes, de salles de bal et de salons mondains meublés en style Biedermeier. Partout on joue de la musique.

À partir de 1821, Franz anime des « schubertiades », soirées conviviales et culturelles centrées sur sa musique, qu’il interprète avec des chanteurs comme le baryton Johann Michael Vogl, créateur du Fidelio de Beethoven en 1814 (rôle de Pizarro), qui l’encourage et le promeut. Il contribue modestement au deuxième volume collectif des Variations sur un thème de Diabelli (avec la valse D. 718), avec quarante-neuf autres musiciens – à la suite d’un premier volume occupé par le seul Beethoven. Grâce à l’entregent de ses amis, des éditeurs allemands commencent à publier en recueils ses danses, chœurs, pièces pour piano et lieder, comme Le Roi des Aulnes (Erlkönig) et Le Voyageur (Der Wanderer). Désormais, il vit de sa production, même si ses grandes œuvres, refusées, resteront dans des cartons.

Le théâtre est primordial pour se faire une notoriété. Or Schubert n’arrive à faire accepter nulle part l’opéra Alfonso und Estrella, qu’il a achevé sur un livret médiocre de Schober. Rossini, qu’il qualifie de « génie extraordinaire », domine la scène viennoise depuis qu’ont triomphé, en 1817, Tancredi et L’Italiana in Algeri. Anna Milder, la créatrice du rôle-titre de Fidelio, ne parvient pas non plus à le faire programmer à Berlin.


En 1823, Schubert tombe malade  : il a contracté la syphilis et en éprouve les premiers symptômes aigus à 26 ans. Cette maladie dégradante, au traitement éprouvant et toxique à base de mercure, influe sur sa musique. S’il abandonne sa 8e symphonie, le cycle de La Belle Meunière (Die schöne Müllerin) est écrit cette année-là (sur des poèmes de Wilhelm Müller). De même que le singspiel Fierabras, sur le livret d’un secrétaire du Kärntnertortheater, dont la démission annule toute perspective de création scénique… Schubert sollicite le soutien de Carl Maria von Weber, compositeur du fameux Freischütz (1821). Mais affichant peu d’enthousiasme à l’égard de son Euryanthe, il ruine sa démarche ! Fin 1823, sa musique de scène pour la féerie Rosamunde est tout de même jouée au Theater an der Wien.

Peu après il écrit le Quatuor à cordes en ré mineur dit La Jeune Fille et la Mort, créé en privé début 1826. Cette année-là, un poste de maître de chapelle à la cour lui échappe. Cela le cantonne à un train de vie bohème mais n’empêche ni la composition, toujours frénétique, ni son activité de pianiste de salon, heureux de faire danser et chanter, ni des excursions entre amis en Autriche, au cours desquelles il note des musiques populaires. Il se lie avec Franz Grillparzer, l’un des principaux auteurs dramatiques de son temps, dont il met plusieurs poèmes en musique : Ständchen, Nachtstück

Beethoven, à qui étaient dédiées les Variations sur un chant français op. 10 D. 624 et qui les appréciait (« En Schubert habite l’étincelle divine », aurait-il dit), meurt fin mars 1827. Schubert, qui ne l’a que brièvement rencontré, prend part à ses grandioses funérailles. Il écrit, parmi bien d’autres pièces, Le Voyage d’hiver (Winterreise) sur des poèmes de W. Müller, sa grande Symphonie n°9 en ut majeur D. 944, Le Chant du cygne (Schwanengesang) sur des poèmes de Rellstab et Heine. Et il entame son dernier opéra, Le Comte de Gleichen. La censure en a condamné le livret, mais l’inspiration l’emporte sur le pragmatisme.

 

« Poète en son for intérieur, Schubert était jugé comme une espèce de viveur auquel manquait le poli usuel de la sociabilité. Schubert était une double nature, la bonne humeur viennoise tissée avec un trait de mélancolie profonde et ennoblie. »


Eduard Von Bauernfeld

Le 26 mars 1828 (jour anniversaire de la mort de Beethoven), il peut organiser un concert de ses œuvres à la Société des amis de la musique (Gesellschaft der Musikfreunde), qui l’a admis en 1822 et élu membre directeur en 1827. Il y remporte enfin le succès public, malgré l’absence des critiques qui n’en ont alors que pour les prestations de Paganini.

En septembre, une typhoïde l’alite chez son frère Ferdinand. S’il continue à travailler, son état se dégrade rapidement. Il meurt le 19 novembre 1828, à 31 ans. Il est enterré dans l’intimité au cimetière de Währing (comme Beethoven) et Grillparzer rédige son épitaphe  : «  Il fit chanter la poésie et parler la musique ».

Franz Schubert, par son ami Wilhelm August Rieder (1796-1880), portrait à l’huile réalisé d’après une aquarelle prise sur le vif en 1825 : c’est le portrait le plus ressemblant du compositeur d’après ses amis

Ferdinand éditera et diffusera sa production, que valoriseront Schumann, Mendelssohn et Liszt à partir des années 1840. Son œuvre commence à être systématiquement publiée par Breitkopf & Härtel à dater de 1884. En 1951, le musicologue Otto Erich Deutsch en établit le catalogue exhaustif dans l’ordre chronologique et numérote les pièces de D. 1 à D. 998.

En 1888, la dépouille de Schubert a été transférée au Cimetière central de Vienne (Zentralfriedhof ), dans le carré des musiciens. Sa maison natale (au 54 de la Nussdorfer Strasse) et sa dernière adresse (au 6 de la Kettenbrückengasse) sont aujourd’hui des musées.

« Il n’y eut dans la vie de Schubert ni montagnes ni vallées : rien qu’une surface plate où il marchait toujours d’un rythme égal. Son humeur était aussi lisse qu’un miroir et ne s’irritait que difficilement pour des raisons matérielles. Il y avait un fond de mystère où son talent demeura caché pendant toute sa vie, dans un certain entêtement, une obstination irréductible, qui le rendaient absolument sourd aux bons et pratiques conseils de ses amis bien intentionnés. Intérêt égoïste, passion de la gloire lui étaient des sentiments inconnus. S’il était sensible à des critiques soigneusement distillées, il poussait loin l’indifférence pour les éloges, ne sourcillant même pas quand on lui parlait du succès de telle ou telle de ses œuvres. »

Anton Schindler

L'Autre Voyage

D'après Schubert

1 au 11 février 2024

Désireux d’offrir au compositeur viennois une scène qui le rapproche de nous, Raphaël Pichon et Silvia Costa exhument des partitions oubliées, joyaux de lyrisme et de mélancolie, où affleurent, dans un théâtre à la fois anatomique et psychique, les fantômes d’une œuvre.

En savoir plus