Hauteur, échelle, profondeur, sont autant de termes spatiaux que nous utilisons pour décrire la voix. Pour un chanteur d’opéra, la voix est d’abord un espace intérieur. Contrairement à nous, amateurs, projetant des notes plus ou moins justes sur le miroir de la salle de bain, la cantatrice et le chanteur professionnel utilisent avant tout les cavités intérieures de leur visage pour faire résonner leurs voix. Ces résonateurs illustrent notamment le passage de la voix de poitrine à la voix de tête, plus appropriée aux notes aigues. Nous arrivons à la fin de la première partie de la répétition. Les solistes s’économisent vocalement, ils « marquent ». A l’image du bâti en couture, le marquage rend compte des moments clés de la phrase chantée (modulations, points culminants, etc) tout en reposant l’organe de chacun. Plus qu’une technique de repos, quitter le chant de pleine voix permet aux interprètes de prendre plus facilement leurs repères dans l’accompagnement joué en fosse.
18h : les chanteurs quittent peu à peu le plateau et les musiciens leur fosse, mais nous rejoignons le chœur Aedes qui, avant de se dégourdir les jambes dans Paris, se réunit dans le studio B du Théâtre du Châtelet pour une petite mise au point musicale et scénique. Mathieu Romano et Pier Lamandé respectivement chef de chœur et assistant à la mise en scène pour le chœur, accordent leurs remarques sur l’ambigüité des espaces de la voix pour les choristes. Malgré leur nombre et la pluralité des tessitures représentées dans l’ensemble, les membres du chœur Aedes ne doivent faire qu’un vocalement. « On va faire du son » annonce Mathieu Romano après avoir fait travailler quelques passages du finale du premier acte. « Faire du son », nos choristes sont devenus maçons (excusez l’allitération de ces sifflantes bien trop tentantes). Si chanter avec aplomb est leur truelle, la construction finale se fait dans l’abstraction de leurs corps et de la scène. « Faites résonner cette salle et qu’elle devienne une cathédrale sonore. Collez des facettes réfléchissantes de son sur les parois » poursuit le chef de chœur. La voix n’est plus un espace intérieur ni même l’occupation d’une espace physique, elle est transformation d’un environnement. L’éclatement harmonique de chaque note préconisé par Mathieu Romano a pour but de transcender la scène afin de créer un « chœur fantôme » dans la salle, sans ancrage fixe, le spectre vocal prend possession de l’air que le spectateur respire.
Cette journée de répétition nous permet de saisir la finesse d’Offenbach dans l’orchestration des voix. Le compositeur a su rendre compte musicalement des enjeux moraux et politiques de la pièce de Musset. Fantasio, c’est l’incarnation de l’éternel dédoublement des jeux et des voix, au théâtre, à l’opéra comme à la ville.
Charles pour les Fantasept
Chronique d'un Opéra
Mardi 7 février 2017
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