Autour de la « Ballade à la Lune » de Fantasio, du « lamento actif » du Prince de Mantoue qui demande à « être aimé pour lui-même », de l’hymne des fous entonné par Sparck ou encore des duos entre Elsbeth et le nouveau fou du Roi, l’enjeu de l’après-midi du 3 janvier était de saisir la psychologie des personnages dans la musique, afin de rétablir une cohérence dramatique et musicale dans l’intrigue.
Le travail du chanteur dans l’opéra comique d’Offenbach n’est pas une simple interprétation de la partition, quel qu’en soit le brio et le lyrisme, ni même un simple jeu de comédien : il doit être une appropriation entière du personnage et des voix qui le composent. Ces voix sont d’une certaine façon triples : celle de l’interprète, à qui est confié le rôle pour sa tessiture, celle de Musset sous la plume de qui chaque être de fiction est né, et celle d’Offenbach, qui a composé non seulement les mélodies chantées mais aussi l’accompagnement orchestral qui vient enrichir l’éthos, c’est-à-dire le portrait moral des héros. Ces trois voix sur un même pied d’égalité échangent au moment de la répétition, et s’interrogent mutuellement.
Tel a été le cas en cette journée pour le personnage incarné par Jean-Sébastien Bou, le Prince de Mantoue. Qualifié d’ « imbécile inconscient de sa bêtise » par l’ensemble de l’équipe artistique, le Prince de Mantoue pose néanmoins un problème dans le premier acte en cherchant en dépit de son déguisement et de son titre à « être aimé pour lui-même. » Chanteur, compositeur et dramaturge entrent alors en discussion : Quelle couleur donner à cet air de lamentation dans la bouche de ce prince travesti ? Faut-il chanter cet air un ton au dessus, abandonner le bémol de la tonalité pour passer en Ré majeur et rendre compte d’une brillance au détriment d’une mélancolie qu’exprimerait le maintient de la tonalité originale ? Les possibilités sont nombreuses et dépendent de facteurs divers, l’aisance du chanteur valant autant que l’autorité du texte et de la partition.
La décision ne sera pas prise ce jour-là, car il s’agit de « faire confiance à Jacques [Offenbach] » comme le dit le chef d’orchestre Laurent Campellone. Selon lui, il n’est en effet pas question d’enfermer le compositeur dans les clichés bouffes. Cette idée plaît au metteur en scène Thomas Jolly, qui à l’oreille musicale apporte l’impression théâtrale : « Ne pourrait-on pas tromper le spectateur, aller en empathie avec le Prince de Mantoue pour jouer la carte des contrastes avant de revenir à sa bêtise ? »
Retrouver Alfred de Musset derrière le livret de son frère Paul est enfin un enjeu crucial sur le plan dramatique mais aussi sur le plan musical : retrouver la finesse du verbe, le jeu de mot de l’ « enfant terrible du romantisme », c’est s’accorder, être juste et rendre justice à la composition d’Offenbach. C’est ce que révèle la dernière partie de cet après-midi de répétition dans les studios du théâtre du Châtelet. Marianne Crebassa et Marie-Eve Munger, respectivement Fantasio et Elsbeth, enchaînent leurs différents duos. Il leur faut alors rendre compte de « ces âmes jumelles de spleen ». C’est à ce moment que l’instinct théâtral soutient l’oreille musical : « Mais c’est la même note que celle du « Bouffon » lancé par Elsbeth et le « Non » rétorqué par Fantasio, je ne me trompe pas ? », interroge Thomas Jolly, à l’ouïe fine.
La cohérence, l’unité dramatique réside bien alors dans cette correspondance musicale des réponses qui va au delà-du sens des mots. Si les deux personnages ne sont pas d’accord sur la forme, ils le sont sur le fond et c’est la musique qui ironiquement dénonce cette gémellité dès le premier acte de l’opéra.
Au terme de cette journée de répétition dramaturgie et musique ont échangé jusqu’à trouver l’accord parfait entre leurs voix dans « le mélodrame des tulipes », équilibre fragile entre le texte d’Alfred de Musset et la fausse de l’orchestre. Afin de retrouver une cohérence dans l’intrigue, Thomas Jolly s’est vu obligé de rajouter de longs passages de la pièce originale de Musset, ce qui pose un problème quant à la gestion du temps. Le mélodrame, échange parlé sur fond musical est doublé, c’est alors à la partition d’orchestre de s’adapter au nouveau livret, chose faite par la reprise de huit mesures. Cette répétition musicale a su remettre en question la sacrosainte autorité des textes dans le processus de création afin de proposer aux spectateurs une œuvre cohérente sur plan musical et théâtral.
Charles pour les Fantasept
Chronique d'un Opéra
Mardi 3 janvier
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