Il fait nuit. La salle donne de plain-pied sur le trottoir et les baies vitrées laissent voir depuis la chaussée ce qui se passe à l’intérieur.
Ce sont les chaises qui font leur effet, il n’y en a pas deux pareilles, et puis ce beau piano droit, noir laqué.
Les passants ne peuvent se douter que parmi les gens qui attendent, il y a des abonnés de longue date, des néophytes tout juste débarqués dans la passion du lyrique français, des très jeunes et des moins jeunes, des journalistes, des étudiants de l’Ecole Estienne - nous y reviendrons - et Olivier Mantei, nouveau directeur de l’Opéra Comique accompagné de quelques-uns de ses collaborateurs.
Au total, une cinquantaine de personnes entourées d’objets bizarres, en plus des chaises et du piano, un désordre de tous les diables et une drôle de lumière criarde pour habiller le tout.
C’est la première fois depuis le début des travaux à Favart que le Théâtre convie le public à lui rendre visite, en lançant cette opération dite du « garde-meuble lyrique ».
Comme vous le savez, dix impétrants se sont vus confier dix meubles parmi les plus emblématiques de l’Opéra Comique, afin qu’ils les conservent chez eux et les ramènent quand le théâtre rouvrira à nouveau ses portes, en janvier 2017. Avec un échange de bon procédé : le théâtre national prête mais demande en retour que les intéressés livrent leurs souvenirs de spectateurs.
L’attente est exprimée à mots couverts. Le garde-meuble est un prétexte. On prend chez soi pour que le retour dans les murs de Favart se fasse sous le signe de la même joie de vivre, la même élégance, les mêmes exigences artistiques.
Dix hébergeurs au nom de tous les autres, qu’ils soient spectateurs, artistes ou collaborateurs, pour que l’histoire continue après les gravats et les échafaudages.
Moment d’échange chaleureux, passage de témoin symbolique généreux, chacun y a été de son anecdote.
On s’est présenté, raconté, on s’est expliqué aussi sur le sens de la démarche réciproque. Et qu’importe le niveau de fortune, le nombre de mètres carrés ou les connaissances musicales : on a ri, on s'est documenté sur l’objet en partance que l’on a emmailloté avec soin avant de l’emporter.Et finalement on s’est parlé de la même chose sous le regard et les micros de la presse : l’amour d’un répertoire et d’un lieu, la liberté d’une parole entre égaux, entre les professionnels et les amateurs, les vrais mélomanes et les à peine initiés.
Un moment étrange. Hors d’âge. Hors sol.
Et l’Ecole Estienne ? Ah oui Estienne ! Une poignée d'étudiants en deuxième année du Diplôme de Métier d'Art "Cinéma d'Animation" a accepté de poster sur chaque objet le timbre de leur imaginaire.
Sur le mur d’images qui se constituera sur notre site internet, il y aura en plus des vidéos-témoignages de nos gardiens, une animation réalisée par ces étudiants autour des histoires qu’ils ont imaginées pour chacun des objets.
Leur regard d’ailleurs, combiné à l’apport des techniques modernes, donnera vie à ces dix reliques qui viennent tout juste de quitter leur écrin pour aller orner (ou troubler !) les appartements de nos dix participants.
Alors la salle s’est vidée et les dix bienveillants gardiens sont partis dans la nuit avec leurs meubles sous le bras. Qui pour le métro, qui pour sa voiture.
Ils nous donneront de leurs nouvelles bientôt sur notre site, dès lors que les objets de l’Opéra Comique auront trouvé leur place chez eux.