Jean-Baptiste Guignard, dit Clairval (1735-1797)
Acteur versatile et séducteur légendaire, Clairval devient de son vivant un mythe de l’Opéra-Comique (alors appelé Comédie-Italienne), à l’aune duquel sont jugés ses successeurs. Il est le contemporain et le collaborateur de Charles-Simon et Justine Favart, qui transforment l’opéra-comique. Clairval s’illustre à une période charnière du genre, mais aussi de l’histoire française, puisque sa carrière traverse la Révolution.
Du jeune premier au ténor star
Par son père, Clairval était destiné à être perruquier. C’est finalement à la foire Saint-Germain, l’un des lieux de naissance de l’Opéra-Comique, qu’il commence à exercer ses talents d’acteur et d’amuseur. Sa présence scénique le fait aimer du public, et il débute dans la troupe de l’Opéra-Comique en 1758. Joseph Caillot (1733-1816) est alors le premier chanteur de la troupe, et Clairval se voit confier des rôles de second plan : un officier dans Le Huron de Grétry (1768, d’après L’Ingénu de Voltaire), le dragon Montauciel du Déserteur de Monsigny (1769), ou encore un simple villageois dans Silvain du même Grétry (1770). Mais, bénéficiant de son physique charmant, il se fait vite une spécialité des rôles de jeunes amoureux : Nouradin dans Le Cadi dupé de Lemonnier (1761), Lubin dans Annette et Lubin de Laborde (1762), Dorval dans Lucile de Grétry (1769).
Clairval est contemporain du souffle nouveau que Grétry donne à l’opéra-comique après la première époque du trio formé par les compositeurs Duni, Philidor et Monsigny. Le genre est encore marqué par ses origines bouffes et par les archétypes de la Comédie-Italienne. Clairval, dans le sillage de la réforme des Favart, est l’un des premiers acteurs à oser jouer tous les rôles, plus ou moins sérieux, à travers sa carrière.
Le premier rôle qui l’a fait connaître, dès 1761, préfigurait son évolution vers des personnages moins naïfs et plus libres scéniquement que le jeune premier. Dans On ne s’avise jamais de tout de Monsigny, le rôle de Dorval qu’interprète Clairval exige une grande versatilité dans le jeu : tour à tour bellâtre, laquais bègue, vieillard sorti de prison, prisonnier marocain récitant les chansons du Mamamouchi, vieille femme sans logis, il passe par tous les déguisements pour séduire Lise et contourner son encombrant tuteur. À une époque où les rôles sont écrits sur mesure et en collaboration avec l’interprète, le texte de cette comédie montre que Clairval était un acteur aux mille visages.
Un autre tournant intervient dans sa carrière à l’occasion du Tableau parlant de Grétry (1769) où, pour la première fois, il tient un rôle de premier plan qui ne relève pas de l’emploi amoureux. Il y incarne en effet Pierrot, un rôle comique où il fait montre de sa verve. Le rôle du fiancé revient à un autre célèbre ténor de la troupe, Antoine Trial. Si l’on en croit les recensions de l’époque, ce rôle change la perception qu’a le public de Clairval, dans un contexte où l’emploi d’un chanteur définit sa carrière.
On sait que dans cette pièce Clairval, qu’on n’avait encore vu que dans les rôles d’amoureux, y remplit celui de Pierrot ; de manière que si le genre du spectacle, puisque c’était une parade, était nouveau pour le Théâtre-Italien, l’emploi n’était pas moins nouveau pour l’acteur. Aussi, en artiste habile, Clairval ne se livra pas d’abord à toute la gaieté de son rôle ; il chercha à y accoutumer insensiblement les spectateurs, et ce fut quand il vit le public goûter la pièce, ainsi que le rôle, qu’il y déploya tous ses talents ; ce qui le faisait paraître nouveau à chaque représentation. Le comédien-machine, observe à ce sujet Grétry, est le même chaque jour : il ne redoute que l’enrouement. Mais Clairval n’était jamais le même. La perfection de son jeu dépendait de la situation de son âme ; et il savait encore nous plaire, lors même qu’il n’était pas content de lui. (Le Courrier des spectacles, 4 janvier 1799)
Grétry lui-même souligne que Clairval a trouvé sa voie de comédien dans cette pièce qui est d’abord mal accueillie par le public car trop légère :
Grétry ne mentionne pas les premiers rôles (le couple Trial et M. Laruette, respectivement Isabelle, Léandre et Cassandre, le trio amoureux central), mais le couple comique formé par Clairval et Marie-Thérèse Laruette. Il n’est pas impossible que cette première collaboration fructueuse l’ait poussé, deux ans plus tard, à écrire Zémire et Azor pour le même duo de chanteurs, cette fois passé au premier plan.
Dès lors, Clairval n’a de cesse de changer de registre, et d’interpréter les rôles les plus variés, qui lui bâtissent une réputation d’acteur omnipotent. Il remporte un triomphe dans des rôles nobles : le roi Henri IV dans Henri IV ou la Bataille d’Ivry, œuvre de circonstance commandée à Martini pour l’accession au trône de Louis XVI en 1774. L’œuvre est reprise continuellement jusqu’en 1789, et adresse au nouveau roi un message politique : Henri IV est célébré comme le restaurateur de la concorde du royaume. Dans Richard Cœur de Lion de Grétry, le plus célèbre des opéras-comiques de l’époque (l’air de Laurette « Je crains de lui parler la nuit » sera chanté en français par la comtesse de La Dame de pique de Tchaïkovski), Clairval est Blondel, l’intrépide trouvère qui se met à la recherche de son roi captif.
M. Clairval, excellent acteur, qui saisit si admirablement l’esprit de ses personnages, Protée enchanteur qui, depuis les rôles de Pierrot et de Montauciel, jusqu’à ceux du Magnifique et de Roi, a l’art de rendre toutes les nuances de caractères si disparates, et de "faire tomber le masque pour être la chose" (cadit persona manet res), M. Clairval a paru encore supérieur à lui-même par son jeu franc et loyal dans le rôle de Henri IV. ( Le Mercure de France, 1er décembre 1774)
On lui dédie même des vers, reproduits dans ce numéro du Mercure :
« Ventre saingris ! Monsieur Clairval,
Quand près de Lucile ou Sophie
Vous débitez une chanson jolie,
Vous ne vous y prenez pas mal !
Mais votre art tient de la magie
Lorsque vous nous offrez Henril
Volant à la plaine d’Ivri.
Moi qui jamais ne m’extasie,
A votre ton franc et loyal,
Vraiment calqué sur votre original,
(Ceci soit dit sans flatterie)
Je me suis écrié : Le voilà ! c’est bien lui !
Votre santé, naguère chancelante,
Comme elle est brillante aujourd’hui !
Et votre voix ?... Mon cher ami,
Ce prodige, pour moi, n’est pas chose étonnante,
Tout Français se ranime au seul nom de Henri ! » Par M. Dusausoir.
Son succès ne se dément jamais, et lui vaut le titre de « roi de l’Opéra-Comique ». Au cours de sa carrière, Clairval a vécu toutes les étapes de l’institutionnalisation de l’Opéra-Comique. Apparue officiellement en 1714, la troupe foraine a d’abord lutté contre de puissantes rivales : la Comédie-Française, qui a le privilège du théâtre parlé, et l’Académie royale de musique, qui a celui du chant. L’Opéra-Comique était donc régulièrement poussé à la fermeture. En 1762, l’Opéra-Comique fusionne sur ordre royal avec les Comédiens-Italiens et s’installe à l’Hôtel de Bourgogne. Au sein de cette Comédie-Italienne double, Clairval connaît ses premiers succès. Mais le répertoire italien tombe en désuétude tandis que la comédie mêlée d’ariettes (c’est-à-dire l’opéra-comique) prospère. En 1783, la troupe, qui a regagné le nom d’Opéra-Comique en 1780, s’installe dans un nouveau théâtre édifié dans les jardins de l’Hôtel de Choiseul : la (première) salle Favart. Le 1er juillet 1791, Clairval prend part à une curieuse cérémonie de réconciliation entre l’Opéra-Comique et la Comédie-Française, sa vieille rivale. On donne à la salle Favart une représentation d’Athalie de Racine avec des chœurs de Gossec. Pour symboliser l’apaisement des relations entre les deux concurrents, les acteurs de la Comédie-Française jouent la pièce tandis que les sociétaires de l’Opéra-Comique chantent les chœurs. Mieux encore, on dispose les sociétaires par paires, qui se tiennent la main pour une marche de la réconciliation : Clairval avec Molé, la Dugazon avec Contat aînée, et ainsi de suite.
À la retraite de Clairval en 1792, « perte vraiment fâcheuse », on évoque « trente-trois ans de travaux et de succès non interrompus » (Mercure français, 9 juin 1792). 1792 est une année noire pour la troupe : Favart décède le 12 mai, Clairval se retire et la Dugazon est forcée de se faire oublier, en raison de ses prises de position monarchistes. Le même article rend un hommage appuyé au comédien :
Une très jolie figure, une voix agréable, une manière de chanter remplie d’expression et parfaitement d’accord avec les paroles qu’il chantait ; une diction pure, toujours juste, dans laquelle on reconnaissait le ton du monde choisi qu’il voyait, et l’éducation soignée qu’il s’était donnée lui-même, un maintien noble, et cependant susceptible, lorsqu’il le voulait, de beaucoup de comique et de gaieté : telles étaient les qualités que cet acteur montre constamment jusqu’à la fin de sa carrière, et qui, dès ses débuts, l’élevèrent au premier emploi.
Clairval était déjà concurrencé dans la troupe par Jean Elleviou, qui avait débuté le 19 avril 1790 dans le rôle d’Alexis du Déserteur de Monsigny. Par la suite, Elleviou sera vu comme le successeur du roi de l’Opéra-Comique, qui s’éteint en 1797. Grétry signe lui-même un petit paragraphe émouvant à cette occasion :
En disant aux amateurs des arts : Clairval n’est plus, c’est annoncer que la nature a détruit un des êtres qu’elle avait le plus favorisé. Doué de toutes les grâces, de l’esprit et du corps, aussi éloquent que juste, respecté de tous, parce qu’il fut homme d’honneur… Clairval eût été le favori de Melpomène, s’il n’eut été celui de Thalie. Pendant près de 30 ans je lui fus attaché par les liens de la plus douce amitié ; tous ceux qui l’ont vu au théâtre l’ont aimé, tous ceux qui l’ont connu plus particulièrement lui donneront aujourd’hui des pleurs. Grétry, de l’inst. National (Journal de Paris, 29 janvier 1797)
Le roi de l’Opéra-Comique pendant la Révolution
La constance du succès de Clairval est d’autant plus remarquable que sa période d’activité coïncide avec les temps troubles de la Révolution française et de ses suites. Alors même qu’il a joué Henri IV à l’occasion du sacre de Louis XVI, et qu’il est le brillant représentant d’une troupe détentrice d’un privilège royal, Clairval n’est pas inquiété durant la Révolution. La monarchie lui avait été pourtant clémente : en plus de sa situation à l’Opéra-Comique, c’est-à-dire des parts qu’il touchait sur les recettes de la troupe, Clairval bénéficiait d’une pension sur la cassette du roi, un traitement exceptionnel qui donne une idée de sa popularité. Ce n’est pas assez pour ternir l’image de Clairval auprès des Révolutionnaires : « La foule d’acteurs nouveaux que la Liberté a fait éclore ne fera point oublier M. Clairval » affirme ainsi le Journal de Paris en 1792. La Dugazon, bénéficiaire elle aussi d’une pension royale et partenaire privilégiée de Clairval, ne put pas se maintenir aussi impunément pendant la Révolution, car elle avait publiquement apporté son soutien à Marie-Antoinette. C’est pourquoi à partir de 1792, elle doit un temps se retirer de la scène.
Clairval fait aussi partie de la délégation qui, au nom de la troupe, vient faire des « dons patriotiques » à l’Assemblée nationale. On lit ainsi dans le compte-rendu de la séance du mercredi 25 avril 1792 paru dans la Gazette nationale du 26 avril 1792 :
MM. Trial, Narbonne, Ghenard et Clairval, de la comédie italienne, sont admis à la barre, et déposent sur le bureau, au nom de la Comédie, une offrande de 1 500 livres ; ils la renouvelleront tous les ans. Ils sont applaudis et invités aux honneurs de la séance.
La somme n’est pas négligeable, d’autant que les sociétaires de l’Opéra-Comique, qui possèdent l’institution (chacun ayant des parts), sont encore endettés par la salle Favart, et par les très mauvaises performances économiques de la troupe pendant la Révolution. Il a fallu, en effet, se résoudre à ne pas jouer pendant de longues périodes, ou certains soirs marqués par l’actualité (comme la fuite à Varennes de la famille royale). Après avoir souscrit quatre emprunts pour leur nouvelle salle, les sociétaires sont obligés d’en contracter un nouveau au début de l’année 1789, après le terrible hiver 1788-89. En 1789, 400 000 livres sont encore à solder (l’équivalent de près de 7 millions d’euros aujourd’hui). Au début de l’année 1790, le bruit court que la compagnie n’est pas solvable, et la troupe doit faire publier dans le Journal de Paris une note qui affirme que quiconque a des réclamations à faire peut venir à toute heure récupérer son argent.
Un acteur plutôt qu’un chanteur
Grétry, dans ses mémoires, évoque un Clairval avant tout merveilleux acteur, au point qu’il prétend avoir voulu noter dans l’écriture musicale le jeu théâtral de ce dernier.
Clairval ne faisait pas d’illusion quand il jouait le rôle du père de l’Amoureux de quinze ans, car il était ce père même ; mais quand il jouait le rôle d’Azor, il nous transportait dans le pays des fées. […] Je ne crois pas que jamais aucun rôle ait été rendu au théâtre avec plus de vérité que celui de ce marquis de l’ancien régime [dans Le Convalescent de qualité]. S’il me fallait le mettre en musique, je noterais, sans y rien changer, les inflexions de Clairval, qui me sont toutes présentes. […] Jamais un rôle ne périclite dans les mains de cet acteur ; il sait se retenir dans les endroits douteux, ou trop neufs pour le public ; mais à mesure qu’on s’y accoutume, l’acteur déploie toute l’énergie dont son rôle est susceptible. Le comédien-machine est le même chaque jour, il ne redoute que l’enrouement ; mais Clairval n’a pas le malheur d’être le même à chaque représentation : la perfection de son jeu dépend de la situation de son âme, et il sait encore nous plaire lorsqu’il n’est pas content de lui. (Mémoires, ou Essais sur la musique, Grétry)
Une anecdote éloquente est rapportée dans Le Courrier des spectacles du 15 janvier 1799. Dans Le Magnifique, opéra-comique de Grétry, Clairval joue le rôle d’Octave, le Magnifique, un jeune amant qui obtient du tuteur de son amoureuse, Clémentine, une entrevue avec elle. Cette dernière a cependant dû jurer à son tuteur de rester silencieuse. Pour contourner l’obstacle, Octave a l’idée de demander à la jeune fille de faire tomber la rose qu’elle tient si elle l’aime.
Clairval mettait tant d’âme, tant de vérité dans l’expression de son rôle qu’une dame impatiente de voir tomber la rose, et partageant tout l’intérêt de la situation, ouvrit ses doigts et laissa tomber son éventail. On juge combien elle fut déconcertée : elle rougit et son embarras fut aussi grand que celui de Clémentine ; comme si, ainsi qu’elle, elle venait d’avouer sa défaite.
Ces témoignages contemporains indiquent que Clairval était plus un acteur qu’un chanteur. Comme toute la génération Favart de l’Opéra-Comique, il est encore marqué par l’opéra-comique forain et par la fusion avec la Comédie-Italienne. C’est ainsi que, dès 1798, on trouve un journaliste pour se réjouir de l’arrivée de meilleurs chanteurs dans la troupe, sans pour autant jeter l’opprobre sur la mythique génération de Clairval :
Nous ne pouvons que nous joindre aux vœux du public pour encourager ce mouvement, en engageant toutefois les agréables chanteurs du jour à se souvenir qu’ils succèdent à une troupe justement célèbre, chez laquelle l’art musical n’avait pas, en effet, été porté à un très haut degré, mais qui composée de comédiens excellents ne perdait jamais de vue qu’elle ne donnait point un concert, mais qu’elle jouait la comédie. Clairval, Trial, Laruette n’ont jamais passé pour les dieux du chant ; le chant ne fut jamais non plus le mérite particulier des célèbres actrices Dugazon, Carline, Gauthier, et de plusieurs autres ; et cependant, c’est pendant la précieuse réunion de ces sujets, que l’Opéra-Comique a été le plus universellement applaudi. Qu’on chante mieux que ceux que nous venons de nommer, nous serons les premiers à nous en féliciter ; mais qu’on cherche à égaler leur talent comique ; sans cela la moitié de Paris ne pourra voir leurs successeurs dans ceux qui les auront remplacés. (Le Moniteur universel, 6 juillet 1798)
Le baron Grimm est plus acide dans sa critique. Dans sa Correspondance littéraire, il souligne le fossé qui sépare l’art du chant italien de celui des acteurs de l’Opéra-Comique, en particulier Clairval :
Il n’y a aucune sorte d’analogie entre la manière de chanter de M. Clairval et la méthode sublime d’Antonio Raaf [interprète mozartien qu’il a entendu dans Catone in Utica de Niccolo Piccinni à Mannheim] ; je doute que Mme Laruette ait jamais le gosier et les accents de la jeune Danzi que j’ai vue débuter à Mannheim […]. Il me faudra bien six semaines pour oublier les divins accents de Raaf […] et pour me raccoutumer à entendre chevroter doucereusement le charmant Clairval. (Correspondance littéraire, samedi 1er février 1772)
Le séducteur devenu personnage
Une dernière facette du personnage de Clairval a contribué à sa postérité : ses qualités de séducteur. Dans Le duc de Lauzun et la cour intime de Louis XIV, Gaston Maugras consacre tout un chapitre aux frasques amoureuses du chanteur : « Clairval, de la Comédie Italienne, était la coqueluche de toutes les femmes, et il est resté célèbre par ses succès galants, plus encore que par ceux qu’il obtenait sur la scène. » Il développe en particulier un épisode, qui implique la comtesse de Stainville. Amoureuse de Clairval, elle entame avec lui une liaison à travers une série de rendez-vous galants dans le théâtre même. Il rapporte que Clairval se serait déguisé en servante pour entrer dans l’hôtel particulier du mari. Le comte ne réagit que lorsque Clairval se rend coupable d’un outrage terrible en couchant avec la maîtresse du comte. Ce dernier, doublement ridiculisé, fait enfermer sa femme dans un couvent, tandis que Clairval est protégé par sa popularité.
Impossible de savoir ce que cette histoire a de véridique, mais elle dessine la réputation galante dont jouissait Clairval. Arthur Pougin confirme :
Cette sulfureuse réputation donne même lieu à un opéra-comique bien des années après. Tout comme Charles-Simon et Justine Favart, Clairval fait partie des figures de l’Opéra-Comique qui ont eu l’honneur de devenir à leur tour des personnages d’opéra-comique. En 1835 est joué La Marquise, opéra-comique en un acte, sur un livret de Saint-Georges et Leuven, avec une musique d’Adolphe Adam. Voici l’intrigue : la marquise d’Ofalia dédaigne tous ses courtisans, et rudoie le plus acharné d’entre eux, qui est pourtant un grand d’Espagne. La raison en est simple : elle a succombé au charme de Clairval après l’avoir vu dans son costume de bête dans Zémire et Azor à l’Opéra-Comique ! Elle sollicite une leçon de chant mais est déçue par le comportement du comédien. De près, et sans le costume, le charme n’opère plus, alors elle le congédie. Clairval s’attire, en outre, les foudres du grand d’Espagne qui l’apostrophe en pleine représentation. Clairval s’emporte et est alors arrêté. Il s’échappe et rejoint la marquise, dans son costume cette fois. Elle est conquise et lui promet sa main. Mais Clairval, plus volontiers séducteur que mari, lui fait voir tout ce qu’elle aura à souffrir si elle l’épouse. La marquise consent finalement à donner sa main au grand d’Espagne.
Ce livret a un fonds de vérité : la grande impression que fit le costume d’Azor lors de la création de la pièce. Selon ce que Grétry en dit dans ses Mémoires, Clairval aurait d’abord refusé de se grimer ainsi. Charmeur et bien fait, il ne voulait pas se montrer sur scène affublé d’un masque, d’une crinière noire et d’un pantalon zébré. Il fallut tout le zèle de Marmontel, auteur du livret, pour le convaincre : à la frayeur succéderait l’émoi du public, surtout lorsqu’il redeviendrait humain. Clairval remporta effectivement un succès triomphal dans ce rôle de bête, et marqua l’esprit des dames. La Marquise suggère qu’elles furent peut-être les victimes d’un émoi érotique face à la bête.
Liste des rôles de Clairval (non exhaustive)
1761 : On ne s’avise jamais de tout, de Monsigny & Sedaine, rôle de Dorval
1761 : Le Cadi dupé, de Lemonnier, rôle de Nouradin
1762 : L’Impromptu du jour de l’an, de Taconet
1762 : Annette et Lubin, de Laborde et Marmontel, rôle de Lubin
1764 : Rose et Colas de Monsigny, rôle de Colas
1768 : Le Huron, de Grétry, rôle d’un officier
1769 : Lucile, de Grétry, rôle de Dorval
1769 : Le Déserteur, de Monsigny, rôle de Montauciel
1769 : Le Tableau parlant, de Grétry, rôle de Pierrot
1769 : La Rosière de Salency, de Favart, rôle de Colin
1770 : Silvain, de Grétry, rôle de Bazile
1770 : L’Amitié à l’épreuve, de Grétry, rôle de Nelson (avec Justine Favart)
1771 : Zémire et Azor, de Grétry, rôle d’Azor
1772 : Julie, de Dezède, rôle de Lucas
1773 : Le Magnifique, de Grétry, rôle d’Octave, le Magnifique (d’où anecdote de la rose)
1773 : L’Erreur d’un moment ou La Suite de Julie, de Dezède, rôle de Lucas
1774 : La Rosière de Salency, de Grétry (d’après Favart), rôle de Colin
1774 : Henri IV, ou la Bataille d’Ivry, de Martini, rôle de Henri IV, pour l’accession au trône de Louis XVI !
1775 : La Fausse magie, de Grétry, rôle de Linval
1776 : Les Mariages samnites, de Grétry, rôle d’Agathis
1777 : Matroco, de Grétry, rôle-titre
1777 : Félix, ou l’enfant trouvé, de Monsigny, rôle de Félix
1778 : Le Jugement de Midas, de Grétry, rôle d’Apollon (avec la Dugazon)
1778 : L’Amant jaloux, de Grétry, rôle de Don Alonze
1779 : Les Événements imprévus, de Grétry, rôle du marquis
1779 : Aucassin et Nicolette, de Grétry, rôle d’Aucassin
1781 : Les Maris corrigés, de La Chabeaussière, rôle de Germival
1784 : Richard Cœur de Lion, Grétry, rôle de Blondel (avec la Dugazon)
1789 : La Fausse Paysanne, ou l’Heureuse inconséquence, de Propiac, [malade, remplacé]
1791 : Le Convalescent de qualité, ou L’Aristocrate, de Fabre d’Eglantine