20ème arrondissement, Paris
Le jeudi 5 mars, vu de l’extérieur, la journée semble commencer comme toutes les autres pour l’école primaire de la rue Pierre Foncin.
Il est 8h30, les parents déposent les enfants qui, en cette fraîche matinée, sont bien couverts. Ce n’est qu’en franchissant les portes de l’établissement que l’on commence à comprendre. L’apparition de quelques princesses et d’une ou deux sorcières, toutes ne mesurant pas plus d’un mètre vingt, dans le hall et les couloirs sont des indices plutôt sérieux. Aujourd’hui, c’est jour de carnaval ! Mais pas seulement.
C’est aussi le jour de la visite de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, qui a rendez-vous avec des élèves de CM2 dans le cadre de sa tournée de recrutement annuelle. Le principe de cette tournée, mise en place depuis 2018, est d’aller à la rencontre d’enfants scolarisés dans des établissements identifiés REP (réseaux d’éducation prioritaire) et REP± pour les sensibiliser à un cursus vers lequel ils n’iraient pas forcément. « Nous organisons des rencontres et des auditions dans ces écoles pour garantir une réelle mixité parmi les nouveaux arrivants. » explique Sarah Koné, directrice et fondatrice de la Maîtrise.
La rencontre, qui se déroule dans le préau intérieur de l’école, commence par un échange sur le mode question / réponse pour présenter la Maîtrise, représentée aujourd’hui par une dizaine de maîtrisiens, la plupart étant issue de la tournée de recrutement de l’année précédente. Première étape, briser la barrière de la timidité et susciter la curiosité. Sarah anime le débat, pose les premières questions : « Est-ce que vous savez ce qu’est un enfant du spectacle ? » En insistant un peu, les CM2 se prennent au jeu et au fur et à mesure de l’échange, certains yeux s’illuminent. Les spectacles, les répétitions, les devoirs à la maison, le collège, aucune question n’est éludée. « Par exemple, le fait de voir que certains maîtrisiens peuvent parfois habiter loin du collège ou de la Maîtrise et qu’ils prennent les transports en commun donne des perspectives à nos élèves, qui ont parfois du mal à s’imaginer pouvoir sortir de leur quartier. Et puis c’est super pour eux d’échanger avec des sixièmes », explique Stéphanie, maîtresse des CM1 et CM2.
Même le sujet d’éventuelles punitions est abordé : « Et est-ce qu’il y a des heures de colles à la Maîtrise ? » s’interroge un élève. « En principe, non » lui répond un maîtrisien. Là aussi, les yeux s’illuminent…
Après un petit quart d’heure d’échange, il est l’heure de s’essayer à quelques exercices vocaux et de se préparer pour les auditions, qui auront lieu après la récréation. Assis devant le piano installé pour l’occasion et derrière lequel se tient Sarah, CM2 et maîtrisiens sont mélangés (et tous masqués), une partition à la main. La chanson d’aujourd’hui ? Coule la Seine de Morgan Jourdain. Il s’agit de l’air sur lequel les élèves seront auditionnés en fin de matinée. À travers cet exercice pratique et tout en les guidant, Sarah commence à introduire les premières notions élémentaires : faire prendre conscience aux enfants de la musique et de la mélodie. Et après quelques encouragements, tout le monde s’exerce avec sérieux et application.
Une fois les paroles apprises, il est temps de les chanter par petits groupes au sein desquels se trouvent toujours un ou deux maîtrisiens pour épauler et conseiller. Il s’agit de la dernière phase avant les auditions. Une transition tout en douceur car même si les auditions se déroulent toujours par groupe de trois ou quatre élèves, ceux-ci seront amenés à chanter seuls.
La sonnerie de la pause retentit, fin de la rencontre. L’occasion de voir la cour de l’école se remplir de bouts de choux déguisés. La palme du (ou plutôt des) meilleur déguisement revient incontestablement aux frères Mario et Luigi, si petits que l’on entendrait presque des bruitages de Super Nintendo à chacun de leurs sauts. Il est l’heure pour les CM2 de faire une pause et pour les maîtrisiens de retourner au collège François Couperin, dans le 4ème arrondissement. Seules Sarah ainsi que deux maîtrisiens, deux « grands » (ils ont passé leur bac), restent sur place pour auditionner les enfants. « C’était vraiment un moment exceptionnel pour nos CM2, s’enthousiasme Stéphanie. C’est très calme, on prend son temps, c’est super. Du coup nos CM1 sont très intéressés pour l’année prochaine ! »
« Ce genre d’intervention est très importante pour les écoles des quartiers populaires car cela offre d’autres possibles intellectuelles et culturelles pour les enfants. », conclue Nathalie Perrault.
Après un bon café, direction le 3ème étage et la salle bibliothèque, lieu des auditions. L’on réinstalle le piano et dispose en face quatre chaises en demi-cercles. Les maîtresses font entrer les différents groupes, constitués de façon homogène, les uns après les autres mais n’assistent pas aux auditions. « Nous avons déjà essayé les premières fois mais la présence des maîtres.esses peut parfois inhiber les élèves », confie Sarah. Un peu moins d'une dizaine de groupes se succèdent. Les personnalités et les potentiels se révèlent, sous l’œil du jury, habitué aux voix timides et chevrotantes. Et cette demi-heure d’audition pourrait bien s’avérer fructueuse… « On a vu des choses intéressantes, oui, confie Sarah. Et personnellement j’adore ce travail qui est un vrai travail de terrain ! »
Au cours du mois de mars, Sarah et plusieurs membres de son équipe ont écouté pas moins de 170 enfants de cinq écoles du 19ème et 20ème arrondissement de la ville de Paris. Parmi ces élèves, sept d'entre eux intégreront la maîtrise à la rentrée 2021, soit 50 % des nouveaux arrivants.
Depuis la création de cette tournée de recrutement il y a trois ans, plus d’une vingtaine d’enfants issus des quartiers populaires ont intégré la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique via ce processus. En 2018, le pourcentage d’élèves issus des quartiers populaires intégrant la Maîtrise était de 23 % et est passé à 60 % à la rentrée 2020.
Cette tournée a eu un impact sur le nombre de nouveaux élèves issus de Rep et Rep+, avec une évolution de 60%.
Extraits de la tournée de recrutement de la Maîtrise Populaire :