De passage à Florence en 1646, le chevalier de Guise recrute le garçon de 14 ans à la demande de la duchesse de Montpensier, dite Mademoiselle, cousine de Louis XIV qui souhaite améliorer son italien. Aux Tuileries, où il va devenir valet de chambre, au cœur de la plus grande ville d’Europe, on l’appelle bientôt « Baptiste ». Il apprend le français et, encouragé par Mademoiselle, se perfectionne en musique comme en danse, l’art dominant à la Cour de France. Dès 1652, à 20 ans, Lulli compose des danses pour les fêtes de cour.
Après l’épisode de la Fronde auquel Mademoiselle est mêlée, Lulli rejoint le Premier Ministre, le cardinal Mazarin, qui favorise les artistes italiens. Le retour à Paris du jeune roi, alors âgé de 14 ans, est célébré lors du carnaval de 1653 par le Ballet royal de la nuit, grand ballet de cour auquel participent, selon la tradition, roi, seigneurs et professionnels à la fois, tous masqués. Après s’être ainsi rapproché de Louis XIV, Lulli est nommé compositeur de la musique instrumentale du roi, c’est-à-dire surtout de sa musique à danser. Ils se produiront ensemble dans de nombreux ballets de cour, Lulli se taillant une réputation dans les rôles comiques et de caractère.
Il commence à écrire des pièces vocales en 1655, d’abord sur des paroles italiennes. Elles s’intègrent aux ballets où il va bientôt également insérer des pages instrumentales non dansées. Il débutera ainsi Le Ballet royal d’Alcibiade par la première ouverture « à la française » en 1658. Le jeune roi l’autorise à recruter son propre orchestre, la « bande » des Petits Violons, qui concurrence les Vingt-Quatre Violons hérités de Louis XIII, trop corporatistes.
Puis Louis XIV lui confie la composition d’un ballet complet, L’Amour malade, créé en 1657 avec succès. Face au petit Italien, les concurrents sont nombreux, prônant un art français. Mazarin, lui, entend imposer l’opéra italien et invite le fameux Cavalli, de Venise, à l’occasion des noces de Louis XIV avec l’infante d’Espagne. Mais la création française de Serse fait surtout valoir Lulli, auteur des intermèdes chorégraphiques.
En 1661, Mazarin meurt. Louis XIV devient maître absolu de son règne, emprisonne Fouquet et prend bientôt le soleil pour emblème. « Baptiste Lulli, gentilhomme florentin » est gratifié à 29 ans de la charge de Surintendant de la musique de la Chambre : alors que les charges à la Cour s’achètent, celle-ci est offerte par le roi à un musicien qui sait servir son image et le mettre en scène dans les ballets de cour, reléguant progressivement les courtisans au rang de spectateurs. Naturalisé, Lulli devient Lully, puis épouse Madelaine Lambert, fille d’un fameux compositeur de la Chambre qui l’a initié à l’art vocal français. Sa nombreuse progéniture (six enfants) masquera son homosexualité, alors sévèrement réprimée.
Après l’échec d’Ercole amante de Cavalli en 1662, Louis XIV choisit d’encourager la naissance d’un nouveau genre français, la comédie-ballet, qui mêle actes de comédie et intermèdes chantés et chorégraphiés. Ne vient-il pas de créer une Académie royale de danse, destinée à professionnaliser cet art ? Il invite Lully à collaborer avec Benserade, Corneille, Quinault et surtout Molière, plus âgé de dix ans.
Dotés de moyens exceptionnels, secondés par les talents du chorégraphe Beauchamp et du scénographe Vigarani, les « deux Baptiste » produisent lors de grandes fêtes des chefs-d’œuvre comme Le Mariage forcé et La Princesse d’Élide (1664), L’Amour médecin (1665), Le Sicilien (1667), Georges Dandin (1668), Monsieur de Pourceaugnac (1669), Le Bourgeois gentilhomme et Les Amants magnifiques (1670), titre qui marque les adieux du roi à la danse, ainsi que la tragédie-ballet Psyché (1671). Lully interprète des rôles écrits sur mesure : un médecin italien dans Monsieur de Pourceaugnac, le Mufti dans la cérémonie turque du Bourgeois gentilhomme. Ces années font de lui un authentique homme de théâtre.
Les visiteurs étrangers reçus à la Cour font connaître son génie hors de France, ses partitions commencent à circuler en Europe. Le public parisien profite aussi de ces spectacles que Molière redonne dans sa salle du Palais-Royal. Lully n’en retirant aucun bénéfice, leurs rapports se dégradent. Autre motif de jalousie, le succès de l’Académie d’Opéra ouverte par le poète Perrin et le musicien Cambert en 1669, avec autorisation officielle (un « privilège »), dans un jeu de paume parisien. Mal gérée, l’entreprise périclite. Si bien qu’en 1672, soutenu par Colbert, Lully rachète le privilège de l’Académie à Perrin, puis le fait modifier par Louis XIV.
À 40 ans, le voilà directeur et compositeur – à vie – de l’Académie « royale » de Musique, avec un monopole absolu sur la production de spectacles musicaux dans le royaume. Poètes et musiciens se voyant privés de toute perspective de création lyrique se ligueront souvent contre lui.
Lully récupère la troupe de Cambert puis s’associe Vigarani pour les décors et, pour les livrets, Quinault, auteur à succès récemment reçu à l’Académie-Française. Ils installent un théâtre dans un jeu de paume situé rue de Vaugirard. Après un spectacle pot-pourri, Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, ils créent en avril 1673 Cadmus et Hermione, habilement dénommé « tragédie en musique » et reposant à la fois sur la danse et le récitatif. Séduit, Louis XIV attribue à Lully le théâtre du Palais-Royal, ceci au détriment de la troupe de Molière, deux mois après la mort de ce dernier.
C’est dans cette salle réaménagée par Vigarani que le Surintendant produira ses ouvrages, presque tous d’abord créés à la Cour. Le public est assidu aux trois représentations hebdomadaires. L’éventail des prix des places permet à tous d’en profiter, et certains airs commencent à courir les rues : on en fait bientôt des parodies... Lully s’avère habile gestionnaire, directeur exigeant, homme de théâtre inventif. Il recrute les meilleurs interprètes, comme Marin Marais qui rejoint l’orchestre en 1675. Son deuxième opéra, Alceste, affronte une cabale en 1674. Mais les ouvrages suivants remportent de grands succès : Thésée (1675), Atys (1676) et Isis (1677) fondent une tradition et un répertoire qui dureront jusqu’à Rameau.
Des difficultés surgissent. Isis, peu goûté par Madame de Montespan, entraîne la disgrâce passagère de Quinault. Il faut étouffer la concurrence à la Cour comme à Paris. Rumeurs et affaires entachent la réputation du Surintendant. Vigarani s’éloigne, et sera remplacé par Berain en 1680.
Après avoir collaboré avec Thomas Corneille et Fontenelle pour Bellérophon en 1679, Lully retrouve Quinault pour Proserpine (1680) puis le ballet Le Triomphe de l’Amour (1681) où pour la première fois se produisent des danseuses. Lully obtient une charge de secrétaire du roi. En 1682, il crée Persée, en 1683 Phaéton dit « l’opéra du peuple », en 1684 Amadis. Riche propriétaire de plusieurs domaines et hôtels à Paris – celui qu’il habite est toujours visible à l’angle des rues des Petits-Champs et Sainte-Anne –, il diffuse son œuvre grâce à Ballard, imprimeur du roi. On le joue en Hollande, en Angleterre, en Allemagne. Moyennant une redevance, il autorise l’ouverture d’un opéra à Marseille en 1685.
La création de Roland cette année-là est ternie par le scandale du page Brunet, attisé par Mme de Maintenon. Lully conserve le soutien du Dauphin mais le roi, qui plonge dans la dévotion jusqu’à révoquer l’Édit de Nantes, n’aime plus l’opéra et favorise désormais les genres sacrés, comme le grand motet. S’il en est un promoteur, et se produit par ailleurs aux fêtes de cour, Lully n’est plus le favori. Delalande, Lorenzini, Boesset, Desmarest, Marais, de La Guerre font parler d’eux. En 1686, Armide séduit Paris mais Louis XIV l’ignore. Quinault quitte le théâtre pour le repentir. Commandée par le Dauphin, la pastorale d’Acis et Galathée est le dernier succès de Lully.
En janvier 1687, le royaume fête le rétablissement de Louis XIV, opéré quelques semaines plus tôt. Dirigeant son Te Deum à l’église des Feuillants, Lully se blesse au pied en battant la mesure avec sa canne. Gagné par la gangrène, il refuse de fermer l’Académie pour racheter son âme. Il meurt le 22 mars 1687, à 55 ans, et est enterré dans l’église Notre-Dame des Victoires où on peut encore voir son mausolée.
Son troisième fils, Jean-Louis, assure brièvement la direction de l’Académie, avant de mourir l’année suivante. Son gendre Francine la dirigera ensuite. Changeant de nom au fil des régimes, et de lieu au gré des incendies, l’Académie deviendra bien plus tard l’Opéra national de Paris.