La création à l'Opéra-Comique en 10 dates clés

Par Dina Ioualalen

Du Domino noir (Auber, 1837) à L'Inondation (Francesco Filidei, 2019) en passant par La Fille du régiment (Donizetti, 1840), L'Heure espagnole (Ravel, 1911) ou encore Les Mamelles de Tirésias (Poulenc, 1947), l'Opéra-Comique n'a cessé d'être un lieu de création. Découvrez 10 dates clés de la création à l'Opéra-Comique. 

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10 décembre 1825 : La Dame blanche, Boieldieu

Eugène Scribe et Walter Scott, une rencontre manquée

Pour l’écriture du livret de La Dame blanche, Eugène Scribe (1791-1861) s’inspire des deux romans Guy Mannering et Le Monastère ainsi que du poème La Dame du lac de Walter Scott (1771-1832). La souplesse de la réglementation des droits d’auteur permet au librettiste de ne pas informer le poète de son projet d’opéra. Déjà Rossini a composé La donna del Lago (Naples, 1810) d’après ce dernier poème, et Fétis (Marie Stuart en Écosse, Opéra-Comique, 1823) ainsi qu’Auber (Leicester, Opéra-Comique, 1823) viennent puiser dans deux des romans historiques de Scott.

Le 29 octobre 1826, soit près d’un an après la création de La Dame blanche, Walter Scott quitte sa résidence d’Abbotsford pour Paris. Il y assiste aux représentations de l’opéra pastiche Ivanhoé de Rossini à l’Odéon et de deux pièces d’Eugène Scribe, Le Plus beau jour de la vie et Le Mariage de raison au Théâtre de Madame, sans toutefois rencontrer Scribe ni se rendre à l’Opéra-Comique où l’on continue pourtant à jouer La Dame blanche.

17 novembre 1866 : Mignon, Ambroise Thomas

Laërte : « Dieu ! Philine, mes amis ! Le théâtre est en feu… Regardez ! » (Mignon, Acte II, deuxième tableau, scène V)

Le 25 mai 1887, lors de la 745e représentation de Mignon, un incendie se déclare à huit heures quarante sur la scène de l’Opéra-Comique, lorsque « Mignon, jouée par Mlle Simonnet, remet son bouquet à Wilhelm » au premier acte. Un spectateur, M. Jouve, raconte : « Une flammèche, se détachant d’une frise, tomba sur la scène du côté gauche tout près de la cabane. Les artistes baissèrent instinctivement la tête, et, aussitôt une seconde flammèche plus forte que la première s’abattit un peu plus loin. » (Le Radical, 27 mai 1887). Ce n’est pas la première fois que le feu met en péril les interprètes et le public d’Ambroise Thomas : « J’ai raconté comment, en 1873, l’Opéra de la rue Le Peletier avait brûlé la veille de la 100e d’Hamlet. Or, le Théâtre des Arts de Rouen avait subi le même sort pendant une représentation du même ouvrage. Et voici que l’incendie de l’Opéra-Comique éclatait tandis qu’on y jouait le chef-d’œuvre du même compositeur : Mignon ! » (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950). L’Opéra-Comique est entièrement détruit cette nuit du 25 mai 1887, et on déplorera plus d’une centaine de victimes. 

3 mars 1875 : Carmen, Bizet

Une curieuse prémonition    

« Carreau ! Pique ! La mort !

J’ai bien lu ! moi d’abord,

Ensuite lui… pour tous les deux, la mort ! » (Carmen, III, 2)

Lorsqu’elle lit son destin et celui de Don José dans les cartes dans la soirée du 3 juin 1875, la créatrice du rôle de Carmen, Célestine Galli-Marié ne peut contenir ses larmes. Prise d’un étrange sentiment, « son cœur ba[t] à se rompre », et elle s’évanouit « après des efforts violents pour aller jusqu’à la fin du morceau » (Journal des débats politiques et littéraires, 21 novembre 1875). Le lendemain, un télégramme de Ludovic Halévy affiché au foyer de l’Opéra-Comique annonce la mort de Bizet, survenue dans la nuit à Bougival, à l’âge de 36 ans :

« La plus horrible catastrophe : notre pauvre Bizet mort cette nuit.

Ludovic Halévy. »
 

10 février 1881 : Les Contes d'Hoffmann, Offenbach

La création posthume d’une œuvre inachevée

« - Tout ce que je demande, c’est de vivre jusqu’à la première représentation. Et si, le lendemain, on vient nous dire : « Jacques est mort ! », ne me plaignez plus !... » (Parole de Jacques Offenbach rapportée par Albert Wolff, Le Figaro, 11 juillet 1881)

Après la composition des Contes d’Hoffmann au Pavillon Henri-IV à Saint-Germain-en-Laye, Offenbach revient à Paris pour le début des répétitions de l’œuvre le 11 septembre 1880 à l’Opéra-Comique, en même temps que débutent celles de Belle Lurette au Théâtre de la Renaissance. Sa santé ne cesse de se dégrader, et il meurt quatre semaines plus tard, le 5 octobre 1880. 

Après son décès, on constate que sur sa table, « le manuscrit des Contes d’Hoffmann est tout grand ouvert à la dernière page du dernier acte » (Le Figaro, 6 octobre 1880). La dernière page de l’opéra est donc écrite, mais l’orchestration de l’œuvre reste inachevée, ce qui signifie que les répétitions ont commencé avant que la partition soit tout à fait achevée. Elle sera complétée par Ernest Guiraud, qui a aussi composé, après la mort de Bizet, les récitatifs destinés à remplacer les dialogues parlés pour faire de Carmen un opéra plus facile à diffuser.

14 avril 1883 : Lakmé, Delibes

Mlle Van Zandt, miroir de Lakmé ?

Lakmé : « D’où viens-tu ? / Que veux-tu ? / Pour punir ton audace / On t’aurait tué devant moi ! » (Lakmé, I, 10)

Le succès de Lakmé, dû à la triple réussite du livet, de la musique et de la qualité de la distribution vocale, fut tel que la direction de l’Opéra-Comique se mobilisa en octobre 1883, pour veiller sur la créatrice du rôle-titre, comme Hadji et Mallika veillent sur Lakmé, après un attentat dont Mlle Van Zandt venait de réchapper : 

« Un révolver dans la poche d’un cocher italien, c’est quelque chose, mais on a pensé à l’Opéra-Comique, que, pour protéger la ravissante Lakmé, ce n’était pas assez. Voici donc comment on procède, après chaque représentation, le mardi et le vendredi. Dix minutes avant le départ de Van Zandt du théâtre, un homme monte à cheval ; il est enveloppé dans un manteau couleur de muraille et porte à sa ceinture tout un arsenal de poignards, de haches d’abordage, de casse-têtes prêtés par la Préfecture de police. Cet homme, qui éclaire la route que la voiture de la diva doit parcourir pour rentrer chez elle, n’est autre que M. Gaudemar, l’excellent administrateur de l’Opéra-Comique. Vient ensuite une voiture bien close dans laquelle se tiennent MM. Carvalho et Léo Delibes, armés jusqu’aux dents. Puis le coupé de la cantatrice, coupé cuirassé, construit spécialement à la Seyne, près de Toulon. Dans le caisson, à l’intérieur du coupé, on a empilé de très nombreuses provisions de toute sorte, qui permettraient à Mlle Van Zandt de soutenir au besoin un siège dans sa voiture. […] Derrière le coupé de Lakmé, fermant la marche, roule une autre voiture contenant les deux auteurs du livret : Gondinet et Gille. Les rues de Paris sont traversées au grandissime galop. Comme les pompes à vapeur, les défenseurs de Van Zandt ont reçu l’autorisation d’écraser tous ceux qui ne se rangeraient pas sur leur passage. »

(Le Figaro, 12 octobre 1883)

19 janvier 1884 : Manon, Massenet

D’un livret à l’autre

À l’automne 1881, le directeur de l’Opéra-Comique, Léon Carvalho, confie à Massenet la composition d’un opéra en trois actes, Phœbé, sur un livret d’Henri Meilhac. Ce livret ne le séduisant pas, Massenet se rend chez Meilhac et, comme frappé par une « révélation », montre du doigt dans sa bibliothèque le Manon Lescaut de l’abbé Prévost : 

« - Manon ! m’écriai-je, en montrant du doigt le livre à Meilhac.
-    Manon Lescaut, c’est Manon Lescaut que vous voulez ?
-    Non ! Manon, Manon tout court ; Manon, c’est Manon ! »

 (Jules Massenet, Mes Souvenirs 1848-1912, 1912)

Une fois le livret de Manon écrit, Massenet est invité à en composer la musique dans l’appartement où l’abbé Prévost écrivit Manon Lescaut

« Un monsieur hollandais, grand amateur de musique, d’un flegme plutôt apparent que réel, comme parfois nous en envoie le pays de Rembrandt, me fit la visite la plus singulière, la plus inattendue qui soit. Ayant appris que je m’occupais du roman de l’abbé Prévost, il m’offrit d’aller installer mes pénates à La Haye, dans l’appartement même où avait vécu l’abbé. J’acceptai l’offre et j’allai m’enfermer – ce fut pendant l’été de 1882 – dans la chambre qu’avait occupée l’auteur des Mémoires d’un homme de qualité. Son lit, grand berceau en forme de gondole, s’y trouvait encore. »

 (Jules Massenet, Mes Souvenirs 1848-1912, 1912)

2 février 1900 : Louise, Charpentier

De Marthe Rioton à Mary Garden, un remplacement, « le sourire aux lèvres » (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950)

La création de Louise fut retardée de deux ans, Gustave Charpentier peinant à trouver une chanteuse qui réunirait les qualités vocales et physiques nécessaires au rôle de Louise. Après de nombreuses recherches, Marthe Rioton est engagée par Gustave Charpentier et André Messager, alors directeur de l’Opéra-Comique, et les répétitions commencent à l’automne 1899. Cependant, le 10 avril 1900, lors de la 23e représentation de Louise, Marthe Rioton ainsi que sa doublure, Catherine Mastio, sont toutes les deux souffrantes, les efforts de la deuxième pour remplacer la première l’ayant rendue aphone dès la fin du deuxième tableau du spectacle. Ce soir-là, comme tous les soirs précédents, se trouve dans la salle une jeune soprano, Mary Garden, récemment présentée à Albert Carré par Sybil Sanderson, créatrice d’Esclarmonde et de Thaïs, deux chefs-d’œuvre de Massenet. 

À l’invitation d’Albert Carré, elle accepte de monter sur scène, sans répétition préalable : 

« On l’habilla. Fugère se chargea de l’annonce. Le rideau se leva sur le troisième tableau et, tandis que tout le personnel du théâtre se penchait anxieusement au bord des coulisses, la petite Écossaise, le sourire aux lèvres, s’avança et chanta le grand air de Louise, ce terrible casse-cou, avec une telle assurance, une voix si pure et un sentiment si juste que, de toutes parts, et même de la fosse des musiciens, s’élevèrent, pendant plusieurs minutes, de bruyantes acclamations. » (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950)

C’est ainsi que Mary Garden fit ses débuts à l’Opéra-Comique. Debussy allait lui confier la création du rôle de Mélisande et lui dédier ses Ariettes oubliées.

Décors pour Louise, 1900, Bibliothèque nationale de France, Collection Opéra-Comique

30 avril 1902 : Pelléas et Mélisande, Debussy

Un désaccord de distribution

Lettre de Maurice Maeterlinck au Figaro, 13 avril 1902 : « En un mot, le Pelléas en question est une pièce qui m’est devenue étrangère, presque ennemie ; et, dépouillé de tout contrôle sur mon œuvre, j’en suis réduit à souhaiter que sa chute soit prompte et retentissante. » 

Alors qu’il a ajouté la formule « La pièce sera jouée où, comment et quand vous voudrez » dans son autorisation préalable à la composition de son drame Pelléas et Mélisande par Debussy, Maeterlinck en réfère à la Société des Auteurs lorsqu’il apprend que Debussy a choisi pour créer le rôle de Mélisande, non pas sa compagne, la cantatrice Georgette Leblanc, mais la jeune Mary Garden, après une audition organisée par le directeur de l’Opéra-Comique Albert Carré. 

« Justement irrité de se trouver dépouillé devant la loi, Maeterlinck brandit sa canne et me déclara qu’il allait donner quelques coups de bâton à Debussy pour lui apprendre à vivre… J’attendais avec angoisse, persuadée qu’un drame allait éclater. Je ne me représentais pas Debussy, avec son masque tragique, recevant bénévolement une correction !... À chaque instant je regardais dans la rue déserte si je voyais revenir Maeterlinck. Enfin il parut au haut de la côte, brandissant sa canne sur le ciel avec des gestes farceurs. L’histoire était piteuse. À peine entré dans le salon, il avait menacé Debussy qui tranquillement s’était assis dans un fauteuil, tandis que Madame Debussy, éperdue, accourait vers son mari avec un flacon de sels. Elle avait supplié le poète de s’en aller et, ma foi, il n’y avait rien d’autre à faire. Maeterlinck qui n’aimait pas les musiciens plus que la musique répétait en riant : “ Tous des détraqués, des malades, ces musiciens ! ” »

(Georgette Leblanc, Souvenirs, 1931)

9 mars 1951 : Il était un petit navire, Tailleferre

Satire et naufrage

Le 9 mars 1951 à 23h30, la salle de l’Opéra-Comique connaît un curieux tumulte : « Hurlements, cris de sirènes, rires, bravos polis, sifflets et désordre général » sont rapportés par Clarendon (Le Figaro, 12 mars 1951). Germaine Tailleferre et Henri Jeanson étirent le laconique chant des marins « Il était un petit navire » en un opéra en trois tableaux qui parodie les schémas dramaturgiques classiques du genre de l’opéra, ses triangles amoureux, mais aussi l’attitude de son public. La réaction du public – répondant à la satire - n’en sera que plus résolue, la critique qualifiant cette partition d’ « énigme » et de « naufrage » (Le Figaro, 12 mars 1951) tant elle « méritait mieux que cette prétendue histoire marseillaise qui s’efforce de nous intéresser aux laborieuses combinaisons d’une triple intrigue » (Le Monde, 13 mars 1951).

« Il était un petit navire », Jules-Émile Zinng, 1933, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, Paris

6 février 1959 : La voix humaine, Poulenc

De la plaisanterie au monodrame

« Nous étions à la Scala, avec mon éditeur Hervé Dugardin, et Madame Callas venait de chanter. Et Madame Callas repoussait ténors et barytons pour venir saluer sous des applaudissements d’ailleurs mérités. Hervé Dugardin m’a dit à ce moment-là : « Mais ce qu’il faudrait écrire pour elle, c’est La Voix humaine ! Puisqu’il n’y a qu’une femme, elle aurait tous les applaudissements ! »

(Entretien de Francis Poulenc avec Bernard Gavoty, 28 décembre 1958)

Pensant avec plaisanterie que « le temps viendrait où Callas se serait aliéné tant de partenaires chanteurs que plus personne ne voudrait jouer avec elle », Poulenc compose un monodrame à partir de la pièce éponyme de Cocteau. Il confie la création parisienne à « la seule femme qui peut chanter [s]a musique, c’est-à-dire Denise Duval » (F. Poulenc, propos rapportés par John Gruen, Musical America, avril 1960) - créatrice des rôles de Thérèse (Les Mamelles de Tirésias, 1947) et de Blanche de la Force (Dialogues des carmélites, 1957), puis la création milanaise à Maria Callas.

« Tu as été « sensass » dans Les Mamelles, « merveilleuse » dans les Dialogues mais cette fois tu es « sublime ». J’ai sangloté bien doucement hier. Tu sais pourquoi. Merci. Merci.

Je t’adore

Ton Poupoule. »

(Lettre de Francis Poulenc à Denise Duval, 7 février 1959)

Carmen

Georges Bizet

24 avril au 4 mai 2023

L’opéra français le plus joué au monde revient sur la scène qui l’a vu naître. Andreas Homoki s’empare de ce chef-d’œuvre visionnaire, avec l’Orchestre des Champs-Elysées et Louis Langrée à sa tête, et Gaëlle Arquez dans le rôle-titre.

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