L’opéra français le plus joué au monde revient sur la scène qui l’a vu naître. Andreas Homoki s’empare de ce chef-d’œuvre visionnaire, avec l’Orchestre des Champs-Elysées et Louis Langrée à sa tête, et Gaëlle Arquez dans le rôle-titre.
Transcription textuelle
2023_Video_Extraits_CarmenUn extrait de la musique de l'opéra-comique Carmen se joue avec des images du spectacle
Parmi les cigarières de Séville, Carmen la bohémienne est la plus séduisante et la plus fantasque. Appréhendée pour avoir agressé une camarade, elle subjugue le brigadier Don José qui la laisse s’échapper. Pour elle, il perd son grade puis déserte, embrassant dès lors la vie aventureuse des contrebandiers.
Carmen est l’opéra français le plus joué au monde et le titre le plus programmé à l’Opéra Comique depuis sa création. Il fit d’abord scandale avec son naturalisme précurseur et son héroïne affranchie, que n’adoucissait guère la couleur espagnole magistralement réinventée par Bizet, entre Paris et Bougival… Après la mort brutale du compositeur pendant la 33e représentation, Carmen conquit Vienne, Bruxelles, Saint-Pétersbourg, New York… pour ne triompher à Paris qu’en 1883.
Opéra-comique en quatre actes, sur un livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy d'après la nouvelle de Mérimée. Créé en 1875 à l'Opéra Comique.
« Je suis éclectique.
Le beau, c'est-à-dire la réunion de l’idée et de la forme, est toujours beau. »
Bizet, lettre de juin 1871 à Léonie Halévy
En 1875, les Français encore traumatisés par la défaite de Sedan et la Commune ont tourné la page du Second Empire. Alors que le Grand Opéra voulu par Napoléon III, bâti par Charles Garnier et finalement inauguré par le président Mac Mahon, ouvre ses portes au public, la république s’impose par trois lois constitutionnelles votées à l’Assemblée nationale entre février et juillet.
Loin de là, chez Louis II de Bavière, Wagner prépare l’ouverture de son festival à Bayreuth pour l’été suivant. Ses mots méprisants sur la France ont détourné de lui la jeune génération d’artistes français qu’il fascinait avant-guerre. Pour d’autres raisons, Nietzsche s’est fâché avec le maître allemand et se prend à rêver d’un art méridional.
Grâce à la Société nationale de musique fondée par Saint-Saëns, la musique française s’épanouit hors des salles officielles et des théâtres de divertissement. L’esprit national dope les compositeurs trentenaires : Saint-Saëns mais aussi Chabrier, Fauré, Massenet. Sous l’influence de Berlioz et de Gounod, la mélodie s’épanouit, les genres commencent à se désagréger, l’inspiration littéraire renouvelle les sujets et la poésie lyrique. Tout semble prêt pour que chaque artiste se mette en quête d’un langage authentique. En musique comme dans tous les arts, « être soi » devient une revendication majeure. D’ailleurs, Claude Debussy a déjà 13 ans.
À 36 ans, Bizet fait figure d’un jeune maître. Distingué avant-guerre par le Prix de Rome, encouragé alors par des personnalités aussi diverses qu’Offenbach, Liszt et Rossini, il est conscient de son talent comme du goût du public, capable de maintenir les influences à distance, doué du sens du théâtre et du génie de l’orchestration. Deux créations lyriques l’ont propulsé : Les Pêcheurs de perles, remarqué par Berlioz en 1863, et La Jolie fille de Perth, bien accueilli en 1867.
Recevant en 1872 de l’Opéra-Comique la commande d’un ouvrage de larges dimensions, Bizet convainc son ami et cousin par alliance Ludovic Halévy, librettiste expérimenté, d’adapter Carmen de Mérimée. Halévy dégage de ce récit de voyage presque ethnographique les principaux protagonistes, et convoque d’autres textes de l’académicien aventureux, mort en 1870 : ses Lettres d’Espagne, son Théâtre de Clara Gazul ainsi que sa traduction des Tsiganes de Pouchkine (qui en 1893 inspirera Aleko à Rachmaninov).
Ni les librettistes – Halévy est rejoint par son comparse Meilhac – ni le compositeur ne partent en Espagne, comme le fera bientôt Chabrier pour en revenir avec l’inspiration d’España. Meilhac et Halévy feuillettent les voyages de Théophile Gautier, les drames d’Hugo et de Dumas, les romans philosophiques de Balzac, et se plongent dans les illustrations de Gustave Doré pour L’Espagne de Charles Davillier.
Bizet consulte les recueils musicaux de Manuel Garcia (père de la Malibran et de Pauline Viardot) et de Sebastiàn Iradier. L’impératrice Eugénie, amie de Mérimée, a mis l’Espagne à la mode ; la documentation ne manque pas.
Après L’Arlésienne d’après Daudet, Bizet confirme son goût pour le drame passionnel. Dangereuse séductrice, Carmen participe d’une littérature qu’on ne met pas entre toutes les mains. Avec plus d’âpreté que la Périchole d’Offenbach (1868), autre personnage de Mérimée, elle dénonce aussi l’hypocrisie sociale.
Mais moyennant des aménagements, Carmen peut convenir à l’Opéra-Comique. Le sujet espagnol plaira : le public applaudissait naguère Le Toréador d’Adam (1849), Les Brigands d’Offenbach (1869) et Don César de Bazan de Massenet (1872). L’adaptation a d’ailleurs été envisagée dès 1864 par Victor Massé. Les héros populaires et le mélange des tons conviennent au genre de la maison, qui programme alors principalement Mignon d’Ambroise Thomas et Le Pardon de Ploermel de Meyerbeer, suivis par La Dame blanche de Boieldieu, Le Caïd de Thomas, Mireille et Roméo et Juliette de Gounod, et Le Domino noir d’Auber.
Certes on a lu Mérimée et on sait que l’aristocrate déchu, Don José, lave son honneur dans le sang de la bohémienne maléfique, anti-Esméralda, qui l’a séduit. Mais Meilhac et Halévy développent la couleur locale et les personnages secondaires familiers de la salle Favart – le séduisant toréador, les voyageurs anglais dupés, les brigands pittoresques. Et ils ajoutent la sage Micaëla, messagère de la parole maternelle.
C’est compter sans le réalisme qu’impose dans le rôle-titre le jeu de Célestine Galli-Marié, étoile de la troupe, encouragée par Bizet qui suit les répétitions à partir de septembre 1874. Entourée par Paul Lhérie en José, Jacques Bouhy en Escamillo et Marguerite Chapuis en Micaëla, mise en scène par Charles Ponchard dans les décors et costumes de Detaille et Clairin, dirigée par Deloffre, Galli-Marié produit un personnage d’une vérité qui dérange.
Le 3 mars 1875, c’est le choc dans la salle bourgeoise et familiale de l’Opéra-Comique. Ni morale ni transcendance dans cette pègre qui se mêle au peuple andalou ! Une revendication intransigeante de liberté jusqu’à la mort, quatre ans après la Commune ! L’affirmation d’une sensualité féminine impérieuse, sans amour rédempteur ! Le livret est jugé scabreux – il annonce le vérisme. La partition est qualifiée de « wagnérienne », c’est-à-dire trop riche, quoique conçue pour la soixantaine de musiciens du théâtre. Le directeur Camille Du Locle lui-même se lamente : « Pauvre Opéra-Comique ! Que maintenant on pense peu à lui en écrivant pour lui ! »
Épuisé et frustré, Bizet renoue le 29 mai, un peu tôt pour la saison, avec les bains qu’il prend volontiers dans la Seine à Bougival, en bas de chez lui. Le 3 juin 1875, au lendemain de la 33e représentation – l’œuvre est maintenue malgré des recettes médiocres – il succombe à une crise cardiaque, à 36 ans.
Carmen connaît cette année-là 48 représentations. Pendant l’été, Ernest Guiraud remplit à la place de son ami deux tâches destinées à la diffuser : la composition de récitatifs pour une version allemande qui sera créée à Vienne le 23 octobre 1875 (Wagner y assiste) ; l’édition de la partition d’orchestre, augmentée de ballets extraits d’autres ouvrages de Bizet. C’est cette version-ci, traduite en italien, qui est créée dès 1876 à Bruxelles, Saint-Pétersbourg, Londres, New York. Elle va assurer le succès de l’œuvre. Nietzsche la découvre ainsi à Gênes en 1881 et s’enthousiasme. En France, Carmen conquiert Marseille, Lyon, Angers, Bordeaux à partir de 1878.
D’abord sceptique, le directeur suivant de l’Opéra-Comique, Léon Carvalho, reprogramme l’œuvre le 21 avril 1883 (deux mois après la mort de Wagner). Avec la fameuse soprano Adèle Isaac dans le rôle-titre et les échos des succès hors de Paris, Carmen s’impose. Dans son tableau Autour du piano, Fantin-Latour rassemble en 1885 la fine fleur de la musique française autour de sa partition, qui sera dès lors donnée presque chaque saison. Gustav Mahler, qui considère Carmen comme « la perfection absolue », prend bientôt la direction de l’Opéra de Vienne où il va monter tous les opéras de Bizet.
Pour l’inauguration de la troisième salle Favart le 8 décembre 1898, le directeur Albert Carré propose une nouvelle mise en scène aux couleurs de l’Andalousie, avec Georgette Leblanc dans le rôle-titre et des danseuses gitanes engagées à Grenade.
Après 2942 représentations à l’Opéra-Comique (une troisième production est signée Jean Mercier et Dignimont en 1938), Carmen entre au répertoire de l’Opéra dans la version Guiraud le 10 novembre 1959, lors d’un gala présidé par le général de Gaulle. Cette production fastueuse de Raymond Rouleau est dirigée par Roberto Benzi et rassemble Jane Rhodes, Albert Lance et Robert Massard.
En 1980, Carmen réapparaît dans la salle Favart, dans un spectacle du Festival d’Edimbourg, avec Teresa Berganza, Plácido Domingo et Ruggero Raimondi dirigés par Claudio Abbado. En 1996, Louis Erlo la monte sous la baguette de Lawrence Foster. En 2009, le spectacle mis en scène par Adrian Noble et dirigé par Sir John Eliot Gardiner permet d’atteindre un total de 2906 représentations dans les murs.
Ajournée par la crise sanitaire, notre nouvelle production signée Louis Langrée et Andreas Homoki met l’opéra le plus joué au monde en perspective avec sa réception. Carmen n’est-elle pas devenue l’un des rares mythes modernes issus du théâtre lyrique ? Ce miracle a eu lieu à l’Opéra-Comique, théâtre national et chambre d’écho de la sensibilité moderne.
Par Agnès Terrier
Acte I
Vers 1820, la manufacture de tabac est une attraction à Séville. Sous la surveillance de l’armée, les badauds viennent observer les cigarières qui œuvrent à la prospérité de la ville. Parmi elles se distingue Carmen, une séductrice qui choisit ses amants au gré de sa fantaisie. Les hommes qui se pressent autour d’elle l’intéressent moins que Don José, un brigadier taciturne occupé à arranger son uniforme. Elle lui lance une fleur avant de rentrer à l’atelier avec ses compagnes.
José reçoit la visite d’une jeune fille de son village, qui lui apporte une lettre et la bénédiction de sa mère. Le souvenir de cet univers le réconforte. Mais la sortie désordonnée des cigarières interrompt sa lecture. Une rixe vient d’éclater entre Carmen et une autre femme. Le lieutenant Zuniga ordonne à José d’arrêter Carmen pour la conduire en prison. Après s’être dérobée aux questions, elle tente d’amadouer José en se faisant passer pour une Navarraise, comme lui. Il l’a reconnue pour Bohémienne mais ne peut résister à sa séduction. Elle lui donne rendez-vous à la taverne de Lillas Pastia et, pendant son transfert à la prison, il la laisse s’échapper.
Acte II
Un mois plus tard, Carmen et ses compagnes Frasquita et Mercédès dansent chez Lillas Pastia, un repaire de contrebandiers aux portes de la ville. Zuniga et d’autres officiers prolongeraient bien la soirée mais les femmes les congédient. La fermeture de la taverne est retardée par le passage du torero Escamillo et du cortège qui l’accompagne. Le héros de l’arène remarque Carmen, qui le repousse comme elle a repoussé Zuniga.
Après leur départ, les femmes accueillent le Dancaïre et le Remendado, des contrebandiers qui leur proposent une affaire. Carmen refuse : elle attend José qui va sortir de la prison où son évasion l’a jeté. Il la rejoint et elle commence à danser pour lui lorsque résonne l’appel de la caserne. Quoique dégradé, José veut rentrer au quartier. Ses protestations d’amour ne peuvent apaiser le dépit de Carmen qui le pousse à déserter. Zuniga fait irruption, à la recherche de Carmen. Les contrebandiers interrompent l’altercation des deux hommes, et José se voit obligé de les suivre dans la clandestinité.
Acte III
De retour de Gibraltar, la caravane des contrebandiers s’établit aux portes de Séville. En attendant de pouvoir passer les marchandises, les femmes tirent les cartes. Carmen, qui est lassée de José, lit dans les siennes sa fin tragique. Elle emmène ses compagnes amadouer les douaniers pendant que José, dévoré de jalousie, est chargé de garder le camp.
Non loin de là, Micaëla recherche José qu’elle espère ramener dans le droit chemin. Mais c’est le torero Escamillo que José rencontre : il veut revoir Carmen. Les deux hommes se battent au couteau. Le retour de Carmen les interrompt, et Escamillo invite toute la bande aux courses de Séville. Au moment de lever le camp, les contrebandiers découvrent Micaëla dissimulée. Celle-ci parvient à convaincre José de la suivre auprès de sa mère mourante.
Acte IV
À l’entrée des arènes de Séville, l’animation est à son comble quand arrive le défilé de la quadrille autour d’Escamillo, Carmen à son bras. Le danger les menace tous deux : Escamillo dans l’arène, Carmen en la personne de José, que la garde n’a pu arrêter chez sa mère et qui rôde autour de la fête.
Pendant la corrida, les anciens amants s’affrontent. Repoussant supplications, promesses et menaces, Carmen jette à José la bague qu’il lui avait offerte. Il la poignarde à mort, puis se livre à la foule qui sort de l’arène.
Direction musicale, Louis Langrée (24, 26, 28, 30 avril) | Sora Elisabeth Lee (2 et 4 mai) • Mise en scène, Andreas Homoki • Avec Gaëlle Arquez, Frédéric Antoun, Elbenita Kajtazi, Jean-Fernand Setti, Norma Nahoun, Aliénor Feix, François Lis, Jean-Christophe Lanièce, Matthieu Walendzik, Paco Garcia, Sylvia Bergé • Chœur accentus et la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique • Orchestre, Orchestre des Champs Elysées
Voir toute la distribution3h (entracte inclus) - Salle Favart
150, 125, 100, 75, 50, 35, 15, 6€
Spectacle en français, surtitré en français et en anglais
L'ouverture des portes du théâtre se fait 45 minutes avant le début du spectacle.
Chaque année, des opéras sont accessibles en audiodescription. Des programmes en braille et en gros caractères sont disponibles gratuitement sur place. Un dispositif de « Souffleurs d’images » est aussi disponible sur demande.
16 emplacements spécifiques sont accessibles aux personnes à mobilité réduite, sur réservation au guichet ou par téléphone. Ascenseur accessible par le 5 rue Favart.
01 70 23 01 44 | accessibilite@opera-comique.com
Des représentations inclusives et accueillantes pour les personnes avec autisme, polyhandicap, handicap mental ou psychique, maladie d’Alzheimer…
Autour du spectacle
Pour découvrir
45 minutes avant la représentation, retrouvez la dramaturge du théâtre durant 15 minutes pour tout savoir sur l'œuvre et le contexte de sa création.
Salle Bizet | Gratuit sur présentation du billet
Pour chanter
45 minutes avant la représentation, assistez à un rendez-vous décomplexé avec un chef de chœur pour chanter quelques airs de l’opéra que vous vous apprêtez à voir !
Foyer Favart | Gratuit sur présentation du billet
Pour se détendre
Le bar propose une restauration légère et des rafraîchissements dans le Foyer, dès l’ouverture des portes du théâtre.
Accessibilité
Séance Relax | Dimanche 30 avril à 15h
Une représentation inclusive et accueillante pour les personnes dont le handicap peut entraîner des comportements atypiques et imprévisibles pendant la représentation.
Avant chaque opéra Relax, un guide FALC est disponible pour permettre de comprendre le contexte de création de l’opéra et son histoire. Il permet également d’anticiper les points de vigilance pendant la représentation qui pourraient surprendre les spectateurs.
Consultez le dossier Facile à lire et à comprendre (FALC) de Carmen ici
Représentations en audiodescription | Vendredi 28 avril à 20h et dimanche 30 avril à 15h
Ce spectacle est accessible en audiodescription et un dispositif de « Souffleurs d'images » est disponible sur demande.
Consulter le programme de l'audiodescription de Carmen ici
Introductions tactiles de l'oeuvre | Vendredi 28 avril à 18h45 et dimanche 30 avril à 13h45
Avant la représentation en audiodescription, nous proposons une introduction adaptée et tactile à tous les spectateurs déficients visuels.
Sur inscription : 01 70 23 01 44 | accessibilite@opera-comique.com
Distribution
Avec la participation de
Et avec le soutien du
Carmen fait l'objet d'une captation audiovisuelle réalisée par François Roussillon et coproduite par l'Opéra Comique et François Roussillon et Associés, avec la participation d'ARTE France et de TV5Monde et avec le soutien du CNC.
Ce spectacle sera diffusé en ligne sur ARTE Concert le 21 juin 2023 à l'occasion de la Fête de la musique et ultérieurement sur les antennes d'ARTE et de TV5Monde.
La Fabrique du spectacle
Voir tout
Transcription textuelle
Un extrait de la musique de l'opéra-comique Carmen se joue avec des images du spectacle
Transcription textuelle
« Cette histoire traite du conflit entre une société de petits bourgeois,
c’est-à-dire un monde normé,
et un concept différent, un monde basé sur la liberté
qui vient du monde rural et qui a grandi avec des règles.
Ce conflit est incarné par Don José,
qui vient du monde rural et qui a grandi avec des règles.
C’est un soldat,
il a toujours exercé son métier sérieusement,
sa mère l’a élevé avec amour.
Et il rencontre Carmen,
cette femme si libre, qui a totalement confiance en elle,
qui n’a jamais fait aucun compromis et qui vit sa vie comme elle l’entend.
Elle est à elle seule un concept utopique de femme émancipée.
Cette femme indépendante présente donc un danger pour l’homme
qui travaille et qui vit en se pliant aux règles.
Je pense que Carmen est probablement l’opéra le plus populaire de tous les temps.
C’est l’archétype même de l’opéra
et le public l’associe à de nombreuses images,
notamment au monde des gitans ou au monde hispanique.
À l’époque où Bizet a composé cette œuvre,
l’Espagne était très exotique et très lointaine.
Mais aujourd’hui, tout le monde, du moins en Europe, connaît l’Espagne,
les spectacles de flamenco etc…
L’imagerie est très liée à une vision touristique de l’Espagne.
Donc pour s’attaquer à cet opéra, il faut retourner aux sources
et une manière de faire serait d’en revenir à la nouvelle de Mérimée,
de regarder ce qu’il y a dedans et de s’y adapter.
Mais là aussi, c’est problématique, parce que,
sur scène, il faudrait ajouter des éléments, notamment des détails historiques.
Donc ce que nous avons décidé de faire pour cette production,
c’est non pas de retourner à Mérimée mais à l’Opéra-Comique.
L'histoire, sous sa forme opératique, c'est Carmen,
bien plus que la nouvelle dont elle est tirée.
Et on s’est dit : « Mais pourquoi pas sur le plateau de l’Opéra-Comique,
faire de ce plateau le point de départ, là même où l’opéra a été créé ! »
Comme si l’opéra et son intrigue se situaient quelque part dans notre imaginaire.
Et on va voir les personnages se réunir et recréer cette œuvre,
presque à partir de rien.
Il n’y a pas de décor,
il n’y a que les protagonistes et ce drame incroyablement bien conçu.
Pour trouver la Carmen parfaite,
il faut trouver la voix adéquate, comme toujours à l’opéra.
Mais Carmen fait partie des quelques rares héroïnes d’opéra
pour lesquelles une voix adéquate ne suffit pas.
Il faut une personnalité qui puisse incarner
toutes les différentes nuances de Carmen :
la nuance érotique, son côté séducteur, dangereux...
Et je suis très content de travailler avec Gaëlle
car elle a une vision très claire de ce qu’elle veut faire avec son personnage,
elle a déjà incarné Carmen plusieurs fois.
Donc avec elle, c’est vraiment un dialogue très fructueux.
Ce qui est la seule façon de faire.
Ce n’est pas comme si le metteur en scène arrivait et disait :
« Ok Carmen, elle est comme ci et comme ça, et maintenant, au boulot ! »
Non, en réalité, je pose des questions, je demande :
« Dans cette situation, tu ferais quoi ? »
et elle me répond « Je ne sais pas, peut-être ceci… »
et moi je lui réponds : « D’accord, et peut-être même qu’on pourrait aller
plus loin dans le sens que tu proposes ».
Donc avec ce rôle, c’est un véritable échange. »
Transcription textuelle
« Je pense que dans ma vie, j'ai déjà dirigé de belles représentations de Carmen,
mais je ne sais pas exactement pourquoi.
C'est un peu comme du savon dans la baignoire,
c'est une œuvre qui vous échappe.
Carmen est une œuvre assez particulière...
Avant même d'ouvrir la partition, vous connaissez l'œuvre déjà par cœur.
Il y a plein de gens qui n'ont jamais été à l'opéra
et qui connaissent Carmen.
Donc il faut se débarrasser de... De cette espèce de tradition.
Et puis partir de notre bible, c'est-à-dire la partition.
Alors on va donner cette œuvre à l'Opéra-Comique,
là où Carmen a été créée
et donc, nous devons le présenter dans sa version opéra-comique,
c'est-à-dire avec des textes et des dialogues parlés
qui vont s'insérer entre les airs chantés ou les ensembles.
Il y a une autre version mais qui n'a pas été composée par Bizet,
qui a été écrite après sa mort,
où les dialogues parlés ont été remplacés par des récits chantés.
Alors quelle version après cela ?
Bizet avait déjà beaucoup coupé ou transformé
donc il faut faire un choix... On a toute cette palette de propositions
et, avec les chanteurs et chanteuses, avec le metteur en scène,
On va... Chercher la version qui sera la plus juste
par rapport à cette production et par rapport à nos chanteurs.
Ce qui est extraordinaire dans Carmen, c'est que c'est un chef-d'œuvre d'opéra.
C’est de la musique de théâtre.
Il n'y a pas une mesure, il n'y a pas une note qui n'ait pas une relation
avec la force, la puissance ou la subtilité théâtrale.
Il y a cette palette de couleurs extraordinaires,
Alors évidemment avec des instruments d'époque,
de l'époque romantique.
Il y a une transparence, une vivacité, parfois une verdeur
mais aussi une opulence, un équilibre parfait entre la clarté et la densité,
donc il ne s'agit pas de faire de la musique,
il s'agit de faire en sorte que chaque trémolo par exemple,
soit un moment d'angoisse soit un moment de...
De stupéfaction, d'effervescence, de rage ou de timidité,
enfin de tout ce qui peut nous donner la chair de poule.
Et donc c'est une joie de musicien, une joie de musicien de théâtre.
Je suis très heureux et très fier de partager la direction de cette production
avec Sora Elisabeth Lee,
jeune cheffe d'orchestre extrêmement talentueuse.
L'Opéra-Comique a toujours été un lieu de transmission
et un lieu de révélation.
C'est le lieu où l'on donne sa chance à de jeunes chanteuses, chanteurs,
chefs d'orchestre, metteurs en scène...
On connait évidemment les chanteurs qui ont été révélés à l'Opéra-Comique,
Roberto Alagna avec la production de Roméo et Juliette,
Natalie Dessay avec Lakmé,
ou Sabine Devieilhe aussi avec Lakmé etc...
Et donc, j'aime continuer cette histoire.
J'ai atteint l'âge où la transmission est une partie essentielle de mon activité
et je suis profondément heureux que Sora Elisabeth Lee
puisse faire ses débuts à l'Opéra-Comique, avec Carmen. »
Transcription textuelle
« Pourquoi Carmen est si célèbre ?
Moi je pense que c'est la force de la musique.
Selon moi, si Carmen est l’opéra le plus joué au monde,
c’est pour deux raisons.
D’abord musicale.
Les airs sont des mélodies simples et très efficaces
que l’on peut retenir facilement, donc c’est un peu le principe du tube.
«L’air du Toréador», «La Habanera», «La Séguedille»,
Tout le monde connait les grands airs de Carmen.
Ce côté populaire, dans le plus beau sens du terme...
Tellement populaire que c’est comme si Bizet avait emprunté
des thèmes qui existaient déjà.
Par sa Habanera,
c’est-à-dire «l’amour est enfant de bohème, l’amour est un oiseau rebelle»,
cette chanson très connue qui elle-même est devenue planétaire,
elle s’est détachée de l’opéra.
On le voit par exemple dans la publicité puisque tous les supports,
dès qu’il y a un peu de musique, utilisent «La Habanera»,
même quelques fois avec deux rythmes ou deux notes.
Ça s’auto-entretient, comme c’est populaire ça va rendre populaire quelque chose.
Il y a ce miracle d’équilibre
entre une orchestration somptueuse et vibrante
et puis ces mélodies…
Une fois qu'on les a entendu, on s'en souvient pour la vie entière.
Je pense que Carmen est probablement l’opéra le plus populaire de tous les temps.
Cela tient au talent des librettistes Meillhac et Halévy
et bien sûr de Georges Bizet
qui ont créé une intrigue incroyablement forte,
un drame très intelligemment construit et très palpitant.
Les événements musicaux s’enchaînent de manière quasi-cinématographique.
L’objet artistique fait que c’est d’une efficacité qu’on...
Qu'on peut retenir facilement.
C’est un chef-d’œuvre d’opéra.
Il n'y a pas une mesure, il n'y a pas une note qui n'ait pas une relation
On passe sans cesse d’un événement musical intéressant à un autre
mais ce n’est pas seulement la musique qui compte,
c’est la situation décrite par la musique.
Il y a une fraîcheur permanente.
On est constamment rafraîchi par ce que l’on voit
et c’est ce qui rend cet opéra si mythique,
en particulier le personnage de Carmen.
C’est une bohémienne, c’est un autre élément.
Et le propre du gitan, même s'Ils se sont parfois implantés,
c’était le cas en Espagne, mais c’est qu’ils sont nomades.
Ça c’est une donnée fondamentale,
il n’est de nulle part, donc il est partout,
il peut représenter tout le monde, d’une certaine façon
parce qu'il est transgressif,
c’est celui qui conteste les lois du pays où il est.
Cette femme si libre, qui a totalement confiance en elle,
qui n’a jamais fait aucun compromis et qui vit sa vie comme elle l’entend.
Elle est à elle seule un concept utopique de femme émancipée.
Pour l’époque, Carmen est une femme sulfureuse, amorale,
qui a sa propre loi, son propre fonctionnement
et qui n’hésite pas à préférer la mort plutôt que de renoncer à sa liberté.
Et ça, c’est fort ! »