Léo Delibes (1836-1891)

Compositeur

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Moriss (madame), photographe | Tirage sur papier albuminé | Entre 1870 et 1890 | Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Clément Philibert Léo Delibes naît le 21 février 1836 à Saint-Germain-du-Val, commune rurale aujourd’hui intégrée à La Flèche. Il a un an de moins que Saint-Saëns, dix-huit mois de plus que Bizet, six ans de plus que Massenet : il prendra avec eux la tête de la « jeune école française ».

Après la mort de son père, employé à l’administration des postes, sa mère retourne auprès de sa famille à Paris. Le garçon grandit dans un milieu musical : son grand-père maternel, Jean-Mathias Batiste, est un ancien fameux baryton de l'Opéra-Comique ; son oncle Édouard Batiste est l’organiste de l’église Saint-Eustache et enseigne le solfège au Conservatoire. Excellent chanteur, Léo intègre la maîtrise de la Madeleine et participera au chœur des garçons lors de la création du Prophète de Meyerbeer en 1849 à l’Opéra.

Solidement éduqué, Léo entre à 11 ans au Conservatoire de Paris. Il suit les classes de solfège, d’orgue, et la classe de composition d’Adolphe Adam, auteur du Postillon de Lonjumeau.

Au lieu de se présenter au concours du Prix de Rome qui l’éloignerait de Paris, il entame en 1853, à 17 ans, une carrière professionnelle avec une double activité : organiste à Saint-Pierre-de-Chaillot et accompagnateur (bientôt chef de chœur) au Théâtre-Lyrique – institution dynamique qui ouvre pendant le Second Empire une troisième voie aux compositeurs que refusent l’Opéra-Comique et l’Opéra. Très impliqué dans la vie de ce théâtre situé au 72 boulevard du Temple, Delibes participe aux créations de Faust de Gounod, des Pêcheurs de perles de Bizet, des Troyens à Carthage de Berlioz.

Le milieu des années 1850 voit triompher sur le Boulevard un nouveau genre de spectacle musical, l’opérette, sous l’égide d’Hervé aux Folies-Nouvelles et d’Offenbach aux Bouffes-Parisiens. L’opérette offre à Delibes, encouragé par Adam, un dérivatif à ses austères devoirs. C’est ainsi qu’à partir de 1856 – il a 20 ans – il produit de nombreux ouvrages en un acte, en particulier pour les Bouffes, collaborant avec les meilleurs librettistes (Philippe Gille, Jules Moineaux, Eugène Labiche…) sur des titres comme Deux sous de charbon ou le Suicide du bigorneau (asphyxie lyrique), L’Omelette à la Follembuche ou Le Serpent à plumes. Treize créations se succèdent ainsi en treize ans. Certaines restent à l’affiche plusieurs saisons. Devenu incontournable et familier d’Offenbach, Delibes compose même pour le Kursaal de Bad Ems, dont Offenbach a la responsabilité durant la très chic saison des eaux.

Très éclectique, Delibes aborde aussi l’opéra-comique en 1857 au Théâtre-Lyrique avec l’acte Maître Griffard. Il écrit des critiques musicales dans Le Gaulois hebdomadaire sous le pseudonyme d'Éloi Delbès. Enfin, il multiplie cantates, hymnes et pièces chorales pour voix d’hommes. S’il crée encore en 1863 au Théâtre-Lyrique (désormais installé place du Châtelet) Le Jardinier et son seigneur, petit opéra-comique, c’est dans la grande institution parisienne qu’il va accéder à la célébrité.

Cette année-là, l’Opéra engage cet excellent musicien de 27 ans en qualité de second chef de chœur, au côté de Victor Massé. On ne tarde pas à l’associer à l’écriture des cantates officielles, puis des ballets. Il collabore avec le fameux compositeur des Ballets impériaux de Saint-Pétersbourg, Ludwig Minkus, pour La Source, grand ballet d’Arthur Saint-Léon créé en 1866 sur la scène de la rue Le Peletier : chacun prend deux tableaux en charge. Delibes trouve ainsi l’occasion de valoriser son talent, ce qui donne lieu à de nouvelles commandes, dont un divertissement chorégraphique pour agrémenter la reprise du Corsaire d’Adam.

Créé en 1869 aux Variétés, son opéra-bouffe La Cour du roi Pétaud (livret de Jaime et Gille) est à la fois sa plus longue et sa dernière opérette. L’année suivante, le 25 mai 1870, il remporte à l’Opéra un immense succès avec son grand ballet d’après E.T.A. Hoffmann, Coppélia ou la Fille aux yeux d'émail (argument de Nuitter). Avec Delibes, la musique de ballet gagne ses galons de genre symphonique : Lalo et Tchaïkovski suivront son exemple après Sylvia.

La guerre franco-prussienne de 1870 puis la Commune n’affectent pas la carrière de Delibes. Il orchestre pour le fameux baryton Jean-Baptiste Faure Le Rhin allemand de Musset, chanté à l’Opéra, puis une chanson de Béranger, Serrons les rangs ! pour l’Opéra-Comique. Fort de ces succès, Delibes se consacre désormais pleinement à la composition et quitte ses diverses fonctions, alors même qu’il fonde un foyer avec Ernestine Denain, fille d’une ancienne sociétaire de la Comédie-Française. Ils n’auront pas d’enfants.

Le 24 mai 1873, son opéra-comique historique Le Roi l’a dit (livret de Gille et Gondinet) remporte un certain succès à l’Opéra-Comique, avec 40 représentations, dans un contexte politique troublé par la chute de Thiers (renversé par Mac-Mahon), laquelle est annoncée au public pendant l’entracte de la première. Redonné à Vienne en version allemande, cet opéra-comique lui permet d’assister à la création de La Chauve-souris de Johann Strauss. Delibes retournera régulièrement à Vienne pour diriger ses ouvrages.

Créé à l’Opéra (Garnier) en 1876, son second grand ballet, Sylvia ou la Nymphe de Diane (argument de Barbier et Mérante), parachève la réforme de la musique chorégraphique. Quelques mois plus tard, Delibes est reçu au grade de chevalier de la Légion d’honneur.

Il ne reviendra plus ni au genre chorégraphique ni à l’Opéra, ayant trouvé le théâtre le plus approprié à son génie. Après une musique de scène pour Ruy Blas en 1879 à la Comédie-Française, son Jean de Nivelle (livret de Gille et Gondinet) remporte un nouveau succès à l’Opéra-Comique le 8 mars 1880, avec une centaine de représentations en moins d’un an.

Son rôle prépondérant dans la musique française lui vaut en 1881 d’être nommé professeur de composition au Conservatoire par son directeur Ambroise Thomas. Le poste, auparavant occupé par Reber, est prestigieux pour ce « jeune maître » de 45 ans. Il prend sa mission très au sérieux et formera entre autres Camille Erlanger et Théodore Dubois.

Lors d’un voyage à Vienne début 1881, Delibes lit Pierre Loti sur le conseil de ses librettistes. Il souscrit au projet d’un opéra-comique exotique, Lakmé, qu’il compose en un an. Durant l’été 1882, il se rend à Bayreuth pour assister à la création de Parsifal et appréhender l’œuvre de Wagner dans le festival financé par Louis II de Bavière. Puis il part découvrir Constantinople où il parachève l’orchestration de Lakmé. À son retour, il écrit une musique de scène pour Le Roi s’amuse de Victor Hugo à la Comédie-Française. Lakmé triomphe le 14 avril 1883 à la salle Favart, et est transformé dès le mois d’août en opéra, forme plus propice à sa diffusion européenne.

Il ne reste plus à Delibes qu’à être élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1884, au fauteuil II occupé avant lui par Gossec, Auber puis Massé.

Souffrant d’albuminurie et de diabète, il meurt brutalement chez lui à Paris le 16 janvier 1891, à 54 ans, quelques semaines après César Franck. Il manque de quelques semaines la 100e de Lakmé, et laisse inachevé un opéra en quatre actes, Kassya, sur un livret de Gille et Meilhac. Massenet en achèvera l’orchestration et l’œuvre sera créée à l’Opéra-Comique en 1893. À la suite d’une cérémonie à Saint-Roch rassemblant directeurs de théâtre, compositeurs, chanteurs, auteurs et professeurs du Conservatoire (Ritt, Gailhard, Reyer, Guiraud, Joncières…), Delibes est enterré au cimetière de Montmartre.

Léo Delibes photographié par Mme Moriss, une dizaine d’années avant la composition de Lakmé.