Les interprètes du rôle de Don José
à l’Opéra-Comique (1875-1959)

Par Guillaume Picard

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Le personnage de Don José souffre du passage de la nouvelle au livret : narrateur second, il est chez Mérimée le personnage principal de l’histoire, victime du dilemme classique entre le devoir et la passion. Dans l’opéra, en regard de l’incandescente Carmen, Don José semble naïf, ses motivations sont obscures, et l’on a plus de mal à épouser son point de vue. On le voit à travers les yeux de Carmen. Il n’a du reste qu’un seul air, au sein du grand duo de l’acte II. Ce manque de complexité a été souligné dès la première par un journaliste qui compare Carmen à Manon Lescaut (le roman et non l’opéra-comique, qui n’est pas encore écrit) : « Don José et Carmen, celle-ci une Manon sans cœur, celui-là un des Grieux moins vicieux que le véritable et plus abjectement criminel. » (Le Figaro, 5 mars 1875). Don José semble ainsi se résumer à la pulsion de meurtre du dernier acte. Tout l’art des interprètes de Don José est de parvenir à doter le personnage d’une profondeur psychologique pour rendre compte avec vraisemblance de l’évolution de ce dernier, de l’amoureux au meurtrier.

Paul Lhérie (1844-1937)

Paul Lhérie en Don José, 1875, anonyme © Wikimedia Commons

Créateur du rôle

Paul Lévy, dit Lhérie, est un enfant de la balle : son père Victor Lhérie était un acteur comique et auteur de vaudevilles et son oncle Léon-Lévy Brunswick, librettiste d’opéra-comique, a co-écrit le livret du Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam. De son propre aveu, Lhérie n’est pas un ténor-né. Après le Conservatoire, il est engagé dans la troupe de l’Opéra-Comique, où il débute en 1865 dans L’Ambassadrice d’Auber. Il crée ensuite le rôle de Charles II dans Don Cesare de Bazan de Massenet. Ses modestes qualités de chanteur lui attirent quelques critiques : « M. Lhérie, intelligent et bon musicien, s’obstine à vouloir élargir jusqu’au cri sa petite voix ; c’est le renversement du problème : le contenant doit être plus grand que le contenu. » (Le Figaro, 15 décembre 1872).

Puis survient par hasard un événement qui va le servir : le premier ténor Duchêne, tombé malade, doit renoncer à chanter Roméo et Juliette. Lhérie le remplace, et Bizet l’entend ce soir-là. Bizet aurait été charmé par les talents de comédien du ténor, tant et si bien qu’il le choisit, contre l’avis de du Locle, pour être Don José lors de la création de Carmen. L’accueil est tiède : « Lhérie ne donne pas assez de physionomie au Havanais Don José. Il est vrai que le Don José de la pièce a cessé d’être celui du roman. » (Le Figaro, 5 mars 1875). « Lhérie a de la chaleur et de la distinction ; malheureusement sa voix ne lui obéit pas toujours ; trop souvent elle est la maîtresse de son maître. » (La Presse, 21 novembre 1875)

Après la création de Carmen, Lhérie se reconvertit en baryton, et voyage partout en Europe et en Amérique. Revenu à Paris, il mène une longue carrière de professeur au Conservatoire. Ce n’est pas en raison de son chant qu’il défraya le plus la chronique : il est traîné en justice en 1885 par deux femmes auxquelles il est marié, qui finissent par obtenir chacune une pension ! Il s’éteint très âgé en 1937, couronné du titre de doyen du chant français. Il marque le rôle de Don José de ses talents d’acteur, et, après lui, on se met à considérer que le rôle exige plutôt un comédien qu’un chanteur.

Théodore Stéphanne (1851-1886)

Le Lyonnais Théodore Stéphanne (parfois orthographié Stéphane), élève du ténor Gilbert Duprez, fait ses débuts à l’Opéra-Comique en novembre 1875, alors que Carmen est reprise à la hâte après la mort de Bizet. Il se fait remarquer en Lorédan de Haydée (Auber) : il « possède une voix franche, facile, et d’un timbre agréable, très sonore […] Il a de la chaleur, de l’expression et un certain instinct de la scène » (Journal officiel de la République française, 16 novembre 1875). Si l’aigu lui manque, Stéphanne s’impose dans la troupe, en particulier à la faveur du départ de Lhérie, devenu baryton. Il crée ainsi le rôle du conseiller de Thou dans Cinq-Mars de Gounod en 1877. Lorsque Carmen est reprogrammé en 1883, on lui confie le rôle de Don José. Sa prestation est cependant critiquée, ainsi que l’ensemble de la production : « naguère, il était médiocre : il est maintenant tout à fait mauvais. Il paraît qu’on l’a choisi pour ses qualités scéniques ; je ne puis croire cependant que M. Carvalho, en cherchant bien, n’aurait pu trouver un plus digne interprète du rôle de Don José. M. Stéphane appartient à la réserve de l’armée territoriale des chanteurs, et j’ai peur qu’il ne puisse jamais rattacher à sa veste les galons qu’on lui a retirés après le premier acte. » (Le Clairon, 22 avril 1883). On souligne parfois qu’il « a eu d’excellents instants dans le rôle fort difficile de Don José » mais « sa voix s’est surmenée dans les travaux surhumains des répertoires de province » (Le Ménestrel, 29 avril 1883). Le duo avec Micaëla « si humain, si touchant, a empoigné l’auditoire en dépit des défaillances de M. Stéphane. » Mais « M. Stéphane est atteint d’aphonie. Certaines qualités compensatrices de comédie que j’avais remarquées chez lui dans Haydée se sont tellement exagérées dans Carmen qu’elles sont devenues des défauts. M. Stéphane confond le mouvement avec le jeu. Il ne suffit pas de s’agiter constamment et de haleter pour exprimer des sentiments dramatiques. C’est une fatigue pour l’acteur et pour le public. Je reconnais volontiers qu’en de rares instants, ceux où M. Stéphane retrouvait quelques moyens vocaux, il a phrasé non sans habileté et talent. Mais c’est tout. » (La Presse, 1er mai 1883). Il meurt à 35 ans d’une maladie du foie.

Albert Saléza (1867-1916)

Albert Saléza en Don José, photographie anonyme parue dans la revue Musica, n°55, avril 1907 © Bibliothèque des Arts décoratifs

Don José entre Opéra et Opéra-Comique

Initié tardivement à la musique, Albert Saléza ne s’en distingue pas moins à la sortie du Conservatoire de Paris. Il fait ses débuts à l’Opéra-Comique en Mylio du Roi d’Ys de Lalo en septembre 1888, et obtient des critiques élogieuses : « M. Saléza est un jeune ténor doué des plus brillantes qualités de son emploi. […] Élégant de sa personne, jeune, sympathique, possédant une voix magnifique, qu’il sait déjà diriger avec beaucoup de goût, M. Saléza a brillamment réussi dans le rôle de Mylio » (Vert-vert, 21 septembre 1888). Doté d’une voix ample et dramatique qui le destinait à l’Opéra, Saléza délaisse l’Opéra-Comique durant la majeure partie de sa carrière. Il triomphe à l’international, et se voit confier par Verdi le rôle d’Otello – un autre amant qui se rend coupable de meurtre – lors de la création française de l’opéra éponyme. Son Don José à la salle Favart, en avril 1898, est différent de celui de ses prédécesseurs, plus engagé vocalement et plus dramatique. Il est « le plus remarquable Don José que nous ayons entendu jusqu’à ce jour. Tour à tour amoureux, désespéré, tragique, M. Saléza est un admirabe interprète du personnage de Mérimée. » (L’Événement, 17 avril 1898). Il rend au rôle sa dimension vocale.

Léon Beyle (1871-1922)

Léon Beyle, photographie anonyme parue dans la revue Musica, n°55, avril 1907 © Bibliothèque des Arts décoratifs

Un Don José pour la 3e salle Favart

Formé aux conservatoires de Lyon et de Paris, Léon Beyle débute à Garnier en 1897 en Don Ottavio de Don Giovanni. Il finit par rejoindre la troupe de l’Opéra-Comique en 1898. C’est en Don José qu’il fait ses débuts le 26 octobre 1898, à l’occasion de la réouverture de la salle Favart. Il remporte un immense succès (« voix joliment timbrée » qui « peut aspirer à une place brillante », L’Éclair, 10 décembre 1898) et reste pendant plus de 22 ans le premier ténor de la troupe. Il « est un des plus jeunes et des plus précieux ténors de l'Opéra-Comique ; sa belle voix d'une grande étendue fait merveille dans les drames lyriques » (L’Annuaire des artistes, 1902). On mentionne même « l’éclat d’une voix flexible et obéissante, douce et forte, chaleureuse, et de solide métal, qui témoigne d’autant de grâce naturelle que de véhémence tragique » (Le Monde artiste, 30 septembre 1900). Il devient ainsi un Don José particulièrement apprécié, vocalement héritier de Saléza et d’une conception plus dramatique du rôle, si bien qu’il doit régulièrement « bisser plusieurs airs » de son José « très applaudi » (Excelsior, 27 septembre 1911). « Jamais on n’avait vu pareil Don José, aussi vrai, aussi passionné, aussi poignant. » (Musica, novembre 1907). Par ailleurs, il impose le Werther de Massenet, jusque-là ignoré, et brille en Mario de Tosca, et en des Grieux de Manon : « Beyle, l’excellent ténor, a chanté des Grieux d’une voix fraîche, puissante, pleine de charme et remarquablement timbrée » (Le Monde artiste, 12 novembre 1899).

ÉCOUTER LÉON BEYLE

Thomas Salignac (1867-1945)

Le Don José de l’Amérique

Fier Marseillais, Thomas Salignac est engagé à l’Opéra-Comique en 1893 mais n’y fait pas ses débuts : il entame une carrière internationale, notamment américaine, couronnée de succès. À New York, il se fait connaître en particulier comme Don José.  De retour en France, il débute dans la salle Favart en 1905 sous les traits de son personnage fétiche. « Précédé d’une réputation qu’il s’est acquise à l’étranger et en Amérique, M. Salignac en a reçu la consécration chez nous. Il a fait une interprétation très vibrante du rôle de Don José, et a obtenu un véritable succès d’enthousiasme. » (Le Monde artiste, 8 octobre 1905). Il n’a de cesse, dès lors, de reprendre le rôle du brigadier, qu’il dote, semble-t-il, d’une complexité jusque-là ignorée, et qui rend poignant le basculement dans la violence : « Il obtint un grand succès. L’interprétation de M. Salignac est vraiment remarquable au troisième et au quatrième actes de l’œuvre. C’est pendant ces deux actes que l’on peut merveilleusement se rendre compte du tempérament expressément dramatique de M. Salignac » (Comœdia, 4 septembre 1910). « M. Salignac a présenté un fort remarquable Don José, très expressif et d’une poignante émotion » (Les Annales politiques et littéraires, 2 janvier 1910). Il retrouve ainsi à l’Opéra-Comique sa maison naturelle, où il peut donner libre cours à ses talents d’acteur : « Ce probe et sûr artiste manquait à l’Opéra-Comique où sa place est tout indiquée dans les emplois dits de composition. Il existe peu de ténors qui sachent, autant que M. Salignac, donner à leurs personnages une expression de vérité réellement frappante. […] Et j’ajoute avec joie qu’on lui fit hier soir une ovation dans Carmen. » (Comœdia, 2 septembre 1912). Après avoir pris sa retraite de chanteur, Salignac dirige l’Opéra de Nice, est professeur de chant et fonde la revue Lyrica en 1922.

Thomas Salignac au Met, duo Rataplan de la Fille du régiment avec Marcelle Sembrich, 1903.

Edmond Clément (1867-1928)

Le ténor de la 1000e

Sorti en 1889 du Conservatoire de Paris, Edmond Clément débute le 29 novembre 1889 à l’Opéra-Comique en Vincent de Mireille (Gounod). Il a une carrière typique de premier ténor de la troupe : des Grieux, Gérald, Georges Brown, Don Ottavio, Ernesto mais aussi Almaviva, il crée le rôle de Pinkerton lors de la première française de Madame Butterfly, ainsi que celui de Fenton dans Falstaff. Après avoir tenté une carrière au Met de New York, il renonce, officiellement car le répertoire de l’institution est trop italien, et officieusement car un certain Caruso a alors toutes les faveurs du public. Edmond Clément est un ténor de grâce, un ténor léger, à la voix claire et souple qui renoue vocalement avec les premiers Don José, tout en retenant la leçon dramatique de ses prédécesseurs aux voix plus larges : « il a émerveillé les dilettantes par sa composition magistrale et très particulière de Don José, surtout au dernier acte, qui est, on le sait, d’une portée dramatique intense. » (Le Petit Bleu de Paris, 1er mars 1907). Il tient le rôle lors de la 1000e à l’Opéra-Comique, le 23 décembre 1904. Il a enregistré plusieurs airs de ses rôles fétiches à l’Opéra-Comique, mais malheureusement pas Don José. Il a souvent été présenté comme le rival de Beyle, dont la voix semblait posséder des qualités similaires à la sienne.

ÉCOUTER EDMOND CLÉMENT

Rêve de des Grieux, Manon, Massenet.

Lucien Muratore (1876-1954)

Lucien Muratore en Don José, portrait par Léon-Charles Canniccioni, c. 1925 © Paris Musées

Don José sans les dialogues

Lucien Muratore est à son époque un mythe du chant français, impliqué dans le star-system international. Il étudie d’abord le théâtre à Marseille et débute une carrière de comédien aux Variétés à Paris. Il entre ensuite au conservatoire de Paris en chant. Ténor dramatique, aux accents de baryton dans les graves, il quitte le Conservatoire en cours de route mais est repéré par des impresarios. Il intègre ainsi la troupe de l’Opéra-Comique en 1902 et s’illustre dans les rôles du répertoire, dont Don José. « Il est impossible de concevoir un meilleur Don José que Muratore […] Il passe par tous les degrés de la passion, d’abord à peine révélée chez le petit soldat, puis se ravivant aux allures aguichantes de la bohémienne pour atteindre une force de domination telle que tout s’anéantit devant elle, amours de jeunesse, famille, patrie », tout émerveille dans ce ténor « au physique exceptionnel, à la voix chaude et puissante, exprimant à merveille les nuances si diverses du rôle : douceur caressante, accent persuasif et tendre, emportement fougueux et passionné, débordement de haine farouche résultant de l’amour non partagé et qui le poussera au dénouement criminel » (Comœdia, 13 août 1908).

Après un succès à l’Opéra de Paris (en Renaud dans Armide de Gluck), il s’embarque pour l’Amérique. Sa carrière à New York, son mariage bref et tumultueux avec la célèbre soprano Lina Cavalieri, les scandales autour de ses cachets et sa tendance à mettre en scène sa vie dans des interviews bien maîtrisées font de Muratore une vraie star moderne. Il s’essaie même au cinéma et à la politique.

De retour en France, il est salué : « sa voix puissante et dramatique a pris encore plus d’ampleur et d’autorité » (Le Ménestrel, 25 juin 1920). On observe que sa voix est devenue presque trop lourde pour Don José, et a acquis l’ampleur des rôles wagnériens. Comme ses prédécesseurs qui ont essayé de conquérir New York, il revient avec un constat alarmant : le répertoire français se meurt outre-Atlantique, où prospèrent les répertoires italien et allemand. Muratore annonce aux journaux français qu’il compte mener une croisade pour le répertoire national, en s’arrachant courageusement au confort du public parisien. Il est contemporain d’un grand changement dans le rôle de Don José : la suppression des passages parlés, auxquels on substitue des récitatifs de Guiraud. Il est favorable à ce changement, pour lequel il a milité, et affirme : « Je suis persuadé que les coupes faites dans le poème, et durant lesquelles les musiciens attendent que les artistes aient terminé de dialoguer, jettent un froid, rompent l’équilibre et font dater Carmen. » (Comœdia, 28 avril 1923) Fort de son expérience internationale, il estime que ce changement est nécessaire pour que l’opéra-comique survive et prospère à l’étranger.

Il occupe une place spéciale dans la liste des Don José de l’Opéra-Comique, puisqu’il est le premier à avoir enregistré partiellement ce rôle.

Gaston Micheletti (1894-1959)

Photographie dédicacée de Gaston Micheletti, 1929, anonyme

Le ténor de la 2000e

Le ténor corse Gaston Micheletti marque l’histoire de Carmen puisqu’il tient le rôle de Don José lors de la 2000e en 1930. Dans sa jeunesse il commence comme ouvrier avant de monter à Paris pour étudier au Conservatoire. Il commence une courte carrière en province avant de débuter à l’Opéra-Comique le 13 décembre 1925 en des Grieux de Manon (Massenet). Il mène une longue carrière de plus de vingt ans comme premier ténor de la troupe. « M. Micheletti est un excellent chanteur. La chaude souplesse de son timbre, la facilité et l’égalité de son émission dans tous les registres, sa bonne articulation, son sens de la phrase musicale nous ont été largement démontrés. » (L’Ouest-Eclair de Rennes, 12 novembre 1933). Il s’illustre particulièrement en Don José, rôle « dont il dégage en artiste éclairé et cultive le vrai caractère ; nous donnant, grâce au fini du détail et au souci de la ligne, une décisive composition » (Le Carnet de la semaine, 13 avril 1930). Il parvient à incarner le brigadier dans toute sa complexité : « La voix ravissante et admirablement conduite de M. Micheletti ne se dépense qu’à bon escient. Par une graduation habile et savamment dosée, ce Don José réfléchi arrive à la scène finale avec tous ses moyens scéniques et vocaux » (Le Phare de la Loire, 14 novembre 1935).

Georges Thill (1897-1984)

Georges Thill en Don José, photographie anonyme © Association l’Art lyrique français

Le premier Don José au disque

Georges Thill est l’un des ténors français les plus célèbres du XXe siècle. Il est admis au Conservatoire de Paris en 1918, alors qu’il est encore mobilisé. Il complète ensuite sa formation à Naples, et débute à l’Opéra de Paris en 1924, dans Thaïs. Quoique sa carrière se déroule plutôt à l’Opéra de Paris et sur les grandes scènes internationales, Thill débute à l’Opéra-Comique le 15 mai 1928 en Don José. Il marque un tournant dans l’histoire de Don José, car il est le premier à enregistrer l’intégrale du rôle, en 1925, pour Columbia. On acclame partout « la magie de cette voix unique par son aisance, par la chaleur de son timbre, par son étendue et son homogénéité, ensemble exceptionnel de qualités servies par la plus merveilleuse articulation » (Le Ménestrel, 15 mai 1931).

À un journaliste qui lui demande s’il s’attache à la psychologie des personnages qu’il interprète, Thill répond en prenant l’exemple de Don José : « Oui et non, parce que, bien souvent, le librettiste et le compositeur ont modifié les personnages. Rechercher la psychologie de Don José, par exemple, c'est impossible, parce qu'il y a... la fleur ! Don José est certainement un brave garçon, au départ, bon soldat, mais il est envoûté par le charme de la fleur que lui jette Carmen – là, juste entre les deux yeux, et qui lui dit : « tu peux la jeter, maintenant, le charme opère » ! et tout le drame est centré là-dessus ! Don José doit subir son destin et Carmen aussi !... s'il frappe son officier, c'est la fleur, il le dit à Carmen dans la romance, et il le dira à Micaëla plus tard : « Laisse-moi, car je suis condamné »... Comment faire de la psychologie avec un pauvre type envoûté par un charme... « envoûtant », impur ! »  (Entretien avec Alain Lanceron, 15 septembre 1977).