Luigi Cherubini (1760-1842)

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Luigi Cherubini naît le 14 septembre 1760 à Florence, dixième enfant d’un père musicien, pédagogue et futur maître de chapelle du grand-duc de Toscane – ce Habsbourg fou de théâtre et de musique deviendra en 1790 l’empereur Leopold II.

Le petit Luigi reçoit la meilleure éducation musicale et, dès l’adolescence, écrit des œuvres sacrées pour la messe et des intermèdes bouffes à la mode napolitaine. Grâce au soutien financier du grand-duc, il se forme entre Milan et Bologne, auprès du compositeur lyrique Joseph Sarti, qu’il seconde, et du padre Martini, immense pédagogue. Ses compositions sacrées, parfois chantées a cappella, parfois de vastes dimensions, attirent l’attention.

À 19 ans, il aborde l’opéra et reste fidèle à ce genre sérieux et noble pour neuf titres successifs, basés sur des intrigues tirées de l’histoire antique ou de poèmes épiques. Ils sont créés entre 1780 et 1784 dans des théâtres importants, à Florence, Alessandria, Livourne, Rome et Mantoue, et ils se distinguent déjà par le rôle important dévolu à l’orchestre.

Les compositeurs italiens sont très demandés dans les cours d’Europe. Tandis que Sarti part à Saint-Pétersbourg, Cherubini est convié à Londres en 1784 par le King’s Theatre, scène dévolue au répertoire italien, où il rejoint son aîné Anfossi. La presse anglaise loue le « génie » de ses interventions dans des pasticcio, spectacles de la plume de plusieurs compositeurs, qu’il dirige également. Mais en 1786, son drame héroïque Giulio Sabino n’est joué qu’une fois.

Paris est proche : le violoniste virtuose Giovanni Battista Viotti l’y invite, le présente à la reine Marie-Antoinette, sœur du grand-duc Leopold, et le programme au Concert Spirituel. En 1786, Cherubini quitte la Tamise pour la Seine. Il étudie le français, adhère à la Loge Olympique, est immédiatement reçu et joué à la cour (à Versailles) et dans les salons de la capitale. Son élégance comme son génie lui ouvrent toutes les portes. Il découvre la grande tradition de l’opéra français, récemment réformée par Gluck, mais aussi l’inventivité du jeune opéra-comique et les symphonies de Haydn, programmées au Concert Spirituel et au Concert de la Loge Olympique.

Cherubini écrit une cantate spirituelle (Amphion, sur un texte de Mirabeau), des romances, genre de large diffusion, et sa dernière œuvre pour l’Italie, Ifigenia in Aulide, dont il dirige la création à Turin en 1788. Dès lors, il est considéré à Paris comme le nouveau musicien italien à la mode, après ceux de la génération précédente, Sacchini, Piccinni et Salieri.

Son premier opéra français, Démophoon, est une tragédie lyrique sur un livret de Marmontel. L’œuvre remporte un succès d’estime fin 1788 à l’Opéra, Académie encore « royale » pour six mois. La Révolution bouleverse la vie culturelle. Dès janvier 1789, un nouveau théâtre est apparu au côté des deux institutions que sont l’Opéra et l’Opéra-Comique : ce Théâtre de Monsieur, patronné par le frère de Louis XVI, est d’abord installé au Palais des Tuileries, puis s’établit en 1791 rue Feydeau, dans une salle neuve à deux pas de la salle Favart. Après la tentative de fuite de la famille royale, on le rebaptisera Théâtre Feydeau. Sa vocation : jouer des opéras bouffes italiens, en langue originale ou traduits, en concurrence ouverte avec l’Opéra-Comique. Une troupe franco-italienne est constituée, dont Cherubini devient le compositeur attitré. Chargé d’adapter les œuvres importées d’Italie en y insérant des morceaux de son cru, il doit aussi rendre des partitions originales. Son deuxième titre français y est donné en 1791 : Lodoïska. Cette comédie héroïque sur une intrigue moderne dite « à sauvetage » remporte un énorme succès, malgré la concurrence immédiate d’une Lodoïska sur le même sujet signée Kreutzer et créée… à l’Opéra-Comique !

En 1792, la monarchie est renversée, on proclame la « patrie en danger », les théâtres ferment, la guerre civile fait fuir Paris aux plus chanceux. Cherubini se réfugie en Normandie et travaille de plus belle. De retour en 1794, après la Terreur, il épouse la fille d’un musicien (dont il aura trois enfants), intègre l’orchestre de la Garde Nationale, obtient la nationalité française, et crée à Feydeau Éliza ou le Voyage aux glaciers du Mont Saint-Bernard qui met en scène, entre autres… une avalanche !

L’année suivante, il est invité à participer à la création du Conservatoire national de musique avec Gossec, Grétry, Méhul et Le Sueur sous la houlette de Bernard Sarrette. Dès lors, il écrit des méthodes d’apprentissage musical tout en participant aux commémorations avec des pièces de circonstance. C’est dans cette période qu’il compose Médée, créée avec succès en 1797 à Feydeau par Julie-Angélique Scio et Pierre Gaveaux, ses fidèles interprètes.

Les sujets tragiques et le mélange des genres trouvant difficilement leur place à Feydeau, et en ces temps troublés du Directoire, il enchaîne avec des sujets comiques. Après quelques demi-succès, Les Deux Journées triomphe en 1800, comme Léonore du même librettiste, Bouilly, musique de Gaveau, sur un sujet comparable.

En 1801, l’Opéra-Comique absorbe le répertoire et la troupe de Feydeau et s’installe dans son théâtre (laissant la salle Favart à une troupe italienne). Le soir de l’inauguration, on joue Les Deux Journées.

Napoléon n’apprécie guère Cherubini (nom qu’il prononce à la française) qui, à une critique de sa musique, a répondu : « Citoyen consul, mêlez-vous de gagner des batailles, et laissez-moi faire mon métier auquel vous n’entendez rien ! » (d’après Berlioz). L’Opéra ne le sollicite pas, sinon pour des ballets qui n’ont guère de succès. Il commence à souffrir d’une dépression chronique. Cependant il fonde une entreprise d’édition musicale, le Magasin de Musique, avec Boieldieu, Méhul, Kreutzer et quelques autres, et organise la création parisienne du Requiem de Mozart.

En 1805, il est invité à diriger ses œuvres à l’Opéra de Vienne, où elles remportent beaucoup de succès. Il y crée Faniska, se lie avec Haydn et assiste à la première de Leonore de Beethoven (d’après le livret de Bouilly pour Gaveaux). À son retour, il produit des pièces officielles, des messes et un grand opéra historique, Les Abencérages, créé en 1813 à l’Opéra. Son statut est alors tel que Londres et Berlin le réclament.

Mais la Restauration le promeut surintendant de la Chapelle royale, poste qu’il tient à partager avec Le Sueur, puis chevalier de la Légion d’honneur et enfin, après les Cent Jours, membre de l’Institut. Au Conservatoire, il enseigne la composition et forme entre autres Auber et Halévy. Comme compositeur, il se dévoue surtout à la musique sacrée, avec son Requiem en ut mineur pour l’anniversaire de l’exécution de Louis XVI en 1817, ou la messe de couronnement de Charles X en 1825.

Ayant échoué à prendre la tête de l’Opéra en 1819, il est nommé en 1822 directeur du Conservatoire, rebaptisé de 1816 à 1831 « École royale de musique et de déclamation ». Il stabilise l’institution, hausse le niveau général par l’instauration de concours d’entrée et de sortie, encadre l’accueil des femmes qui représentent jusqu’à la moitié des effectifs étudiants, réforme l’enseignement du chant français pour contrer le succès de la vocalité italienne (représentée par son ami Rossini) en ouvrant des classes de déclamation lyrique et d’opéra-comique. Il ouvre aussi des classes de harpe, contrebasse, cor à piston, trompette et trombone. En 1828, il préside la création par Habeneck de la Société des Concert du Conservatoire, où sont jouées pour la première fois à Paris les symphonies de Beethoven. Il se soucie d’homogénéité pédagogique, de l’insertion des musiciens, de l’ouverture d’antennes en province, et publie, entre autres, un Cours de contrepoint et de fugue en 1835.

Son dernier opéra, Ali-Baba, a paru en 1833 à l’Opéra, sans grand succès car il s’agissait d’abord d’un opéra-comique. À défaut de réussites scéniques, des extraits de ses opéras sont régulièrement joués en concert. S’il se détourne de la symphonie pour ne pas rivaliser avec ses chers Haydn, Mozart et Beethoven, il consacre une partie des années 1830 à l’écriture de quatuors à cordes. Ils restent méconnus de son vivant, de même que de nombreux projets lyriques restent inachevés. En cette période où la question des écoles nationales gagne en importance, Cherubini est trop cosmopolite pour plaire. Cependant, « tous les artistes étrangers désiraient être présentés à Cherubini : on rencontrait souvent chez lui Liszt, Chopin, Meyerbeer, Rossini… », rapporte Véron, directeur de l’Opéra.

Ingres fait en 1842 le portrait d’un compositeur officiel désabusé. Cherubini quitte ses fonctions en février, laissant à son successeur Auber un Conservatoire au renom international. Il meurt le 15 mars, juste avant un voyage en Italie.

Cherubini est enterré au cimetière du Père-Lachaise. Sur son monument, comme dans le tableau d’Ingres, une muse le couronne. En 1898, son nom sera inscrit au plafond de la troisième salle Favart.