1. De l’Opéra au tournedos...
A seulement 37 ans, et plus d’une trentaine d’opéras à son actif, Gioachino Rossini compte parmi les plus grands compositeurs de son temps mais décide de mettre un terme à sa carrière au profit de valeurs gustatives: la cuisine.
Le Comte Ory est donc son avant-dernier opéra, mais également sa première composition en langue française. Rossini, préparant ainsi sa sortie avec soin, connaissait la loi française qui prévoyait d’accorder une pension à vie à tout compositeur de trois oeuvres ayant chacune atteinte quarante représentations. Pour acquérir cette pension rapidement, il entama deux productions à la fois : Guillaume Tell (1829) et Le Comte Ory. Or Guillaume Tell étant beaucoup plus cher, il décida pour l’Opéra de Paris d’élaborer une comédie, Le Comte Ory, qui ne nécessitait aucune dépense particulière et qui reposait sur la qualité des chanteurs.
Par la suite, une fois ses deux opéras présentés et encensés par les critiques, Rossini se tourna vers une autre passion, la gastronomie, et ouvrit un salon devenu très prisé par les intellectuels de son époque. Il ne s’éloigna pas pour autant de la musique puisqu’il composait pour ses invités des perles musicales vouées à être éphémère, le temps d’un dîner puisque jamais publiées. La rumeur court que c’est dans ce salon que Rossini aurait créé le fameux tournedos au foie gras...
2. Le Comte Ory ou l’art du recyclage
Le Comte Ory est une véritable collaboration entre deux maîtres à leur sommet dans les années 1830. Scribe et Rossini vont chacun reprendre une de leur oeuvre précédente pour l’adapter et la remanier, l’opéra du Comte Ory sera donc en deux actes et sans dialogues parlés.
Chacun y trouve son compte, pour Scribe c’est un honneur et un nouveau défi que d’être associé à Rossini, et pour ce dernier une opportunité d’écrire plus rapidement un opéra en français. Rossini adapte ainsi en grande partie Il viaggio a Reims, une oeuvre qu’il avait écrite pour le couronnement de Charles X. Tandis que le dramaturge Eugène Scribe repris son propre vaudeville tiré d’une chanson populaire Le Comte Ory (1816). Si populaire par ailleurs qu’il est dit que le public reprenait en coeur la chanson lors des représentations.
Pour l’Opéra de Paris associer ces deux grands noms permettait de garantir l’attraction du public et le succès de l’opéra. Les ingrédients de Rossini et de Scribe mêlés font du Comte Ory une véritable comédie avec de la tension amoureuse et du comique de situation.
3. L’oreille et la voix avant le corps: l’art du travestissement
Dans Le Comte Ory, la proportion de chant n’a pas particulièrement de rapport avec l’importance dramaturgique des personnages et c’est avant tout le choix musical qui prime sur la dramaturgie. Si le personnage de Dame Ragonde existe c’est simplement pour l’importance de son chant. De même le rôle d’Isolier, qui est un homme, est joué par une femme mezzo-soprano pour conférer à ce personnage l’idée d’un jeune homme naïf qui idéalise la pureté de l’amour avec la comtesse; mais c’est aussi pour mieux tromper et séduire le spectateur. Ainsi ce travestissement induit le comique de situation avec des personnages prêt à tout pour arriver à leurs fins et leurs désirs.
Il faut savoir que le choix du Moyen ge dans l’oeuvre originale n’est qu’un prétexte pour que les femmes soient sans protection masculine (période des croisades). De plus, Rossini est un des derniers à utiliser des castra pour le bel canto, dit aussi “beau chant”, afin de véhiculer ce besoin de détente et de plaisir dans la société. Denis Podalydès a fait le choix de changer l’espace-temps en plaçant la mise en scène dans les années 1830 à la période d’écriture du livret.
4. Rossini et la vie mondaine face aux interdits
Rossini, qui a longtemps vécu à Paris (1823-1836 et 1855-1868), est dépeint dans la presse d’époque comme un phénomène médiatique entouré d’artistes. Au Théâtre Italien il créé une véritable enclave au coeur de Paris où l’insouciance, la fantaisie et la légèreté des mélodies rossinniennes règnent. Stendhal le décrit comme jovial et désinvolte, un personnage central de la vie mondaine. Mais il sera également décrié, bien plus que Wagner, face aux enjeux culturels du nationalisme. Sa musique étant considérée par les traditionnalistes comme trop superficielle et charmeuse.
Le Comte Ory est écrit à une époque où la France a vécu une succession de régimes politiques. Il y a donc un désir de continuité et de sérénité au sein de la population. Rossini vit dans ce contexte où il faut savoir satisfaire la censure et l’Etat alors même que la vie parisienne est en pleine effervescence. Paris est le centre culturel européen où Bellini, Liszt, Chopin, Wagner, Verdi, Offenbach et bien d’autres séjournent; la ville procure un sentiment de liberté aux étrangers. La musique résonne aussi dans la littérature (Chateaubriand, Stendhal, Hugo, Sand…) et les critiques musicales font leurs apparitions.
Mais la censure et la religion ont encore un pouvoir très influent sur le monde des arts, le Moyen ge et les valeurs traditionnelles font leurs retours. Ory, personnage qui ne croit pas à la chasteté, ne pouvait donc être déguisé en prêtre - comme prévu initialement - il fut habillé en ermite, tandis que l’histoire se passe au château de Formoutier plutôt que dans un couvent. L’opéra, tout en étant fidèle à l’histoire originelle, ne pouvait être vulgaire.
5. L’équipe de Fortunio de retour !
Ce n’est pas la première fois que l’équipe artistique du Comte Ory se retrouve rue Favart à l’Opéra Comique. Déjà en 2009 pour son premier opéra, Fortunio d'André Messager, d'après une pièce de Musset, Denis Podalydès avait réuni Louis Langrée à la direction musicale, Eric Ruf aux décors, Christian Lacroix aux costumes et Stéphanie Daniel aux lumières. Le choeur les Eléments dirigé par Joël Suhubiette faisait également parti de l’équipe.