1. Une oeuvre victime de son succès
Grand succès à sa sortie en 1836, Le Postillon de Lonjumeau, opéra-comique en trois actes, attire les foules. Il s'agit d'un savant mélange entre la célébration des conditions et métiers populaires d'une époque, celle de la pré-révolution indistrielle et la création d’hymnes devenues aujourd'hui classiques. C’est à cette période que l’Opéra Comique connaît un pic de popularité et fournit son lot de spectacles aux théâtres de province et d'Europe. Son répertoire voyage énormément. En créant Le Postillon de Lonjumeau, Adolphe Adam livre une œuvre qui parle à toute une population, avec pour héros un postillon séducteur à la voix de ténor, dont la prouesse vocale va permettre l'ascension sociale. Repris quelques 569 fois à l’Opéra Comique, et plus encore dans l'Europe entière, Le Postillon de Lonjumeau avec une partition enlevée et joyeuse, fut peut-être victime de cette large popularité, pas assez d'avant garde... L'oeuvre finit par être sortie du répertoire de l'Opéra Comique pour laisser place à un genre plus novateur, celui du drame lyrique, mené notamment par Wagner.
Il est à noter que le succès international de l'oeuvre poussa cependant l'acteur et réalisateur Carl Lamac à l'adapter au cinéma en 1936, cent ans après sa création (avec le ténor Joseph Schmidt dans le rôle du postillon). Mais ce n'est qu'aujourd'hui qu'elle retrouve le chemin de la salle Favart, 183 ans plus tard.
2. Le postillon : une fiction devenue réalité
Dans une France entre ancien régime et révolution industrielle, l’histoire d’Adolphe Adam traite du métier particulier et aujourd’hui disparu de postillon. Créé par Louis XI en 1477 pour les besoins de la messagerie royale, le postillon cavale entre deux relais sur une distance de 7 lieues (28km). Le développement de ce réseau, élargi aux voyageurs et au courrier, accompagne l'âge d’or des postillons, forts de leurs responsabilités de chef des attelages et assurant le bon déroulement des voyages ! Élégant, le postillon joue d’une réputation avantageuse de par son rôle de cavalier et ses attributs officiels que sont le fouet et le cor, sublimé par le fard qu’il utilise pour se protéger des intempéries. En 1873, la généralisation des lignes de chemin de fer pousse les relais de poste à fermer, mettant un terme au rôle de postillon.
Avec ce rôle taillé sur mesure pour la voix d'un grand ténor de son temps, Jean-Baptiste Chollet (par ailleurs grand séducteur), les répétitions du Postillon de Lonjumeau prennent un tournant difficile tandis que l’histoire rattrape la réalité. Accompagné sur scène par sa femme Zoé Prévost, recrutée pour le rôle de Madeleine / Madame de Latour, Chollet a une aventure avec une autre chanteuse (Jenny Colon) pendant les répétitions et quitte sa femme alors que Le Postillon de Lonjumeau n'est pas encore créé. Une situation qui aurait pu mettre mal à l’aise Adolphe Adam qui devait continuer à travailler avec le couple défait. Mais au contraire, Adam su tenir ses troupes malgré. Il prit même la défense de Zoé - que beaucoup souahitaient voir remplacée tant son afflication était grande - et tint à ce qu'elle conserve son rôle, malgré tout. Ce qui, lors de la première représentation, lui permit, parait-il, de reconquérir son ténor de mari !
Enfin, il est des histoires qui surpassent le récit pour prendre forme hors de la scène. Le véritable postillon de la ville de Lonjumeau a bien existé, puisque Lonjumeau était réellement un relais de poste. Il y en avait même plusieurs bien entendu. Mais un seul, nommé Chartier, finit par s'identifier au personnage de l'oeuvre: non content du succès de son rang à l’opéra-comique, il se mit à se promener dans la ville, l'air fier et tapageur, et à séduire les passantes, sous le nez de sa fiancée. En rompant leurs fiançailles, cette dernière s'attira les foudres du postillon qui, pris de rage, la frappa. Il écopa de six jours de prison, à la suite d'un procès dont vous pourrez lire quelques extraits dans le programme !
3. Adolphe Adam : superstar
Bien loin de la renommée de ses contemporains, Adolphe Adam fait pourtant partie du panthéon de ces compositeurs français qui ont influencé et modifié le genre de l’opéra-comique, ainsi que la musique et ses codes. Avec un père professeur de piano au Conservatoire et intime du compositeur bavarois Christoph Willibald Gluck, Adolphe Adam baigne dans la musique depuis son plus jeune âge. Il rencontre sa passion auprès d’un grand compositeur de son époque, son maître et professeur de composition, François-Adrien Boieldieu qui lui rendra d'ailleurs hommage à l'occasion de sa dernière apparition publique, pour la première du Chalet en lui écrivant "Je voudrais que cette musique fût de moi ". Adam produit ses oeuvres avec une facilité et une rapidité qui déplaisent à plus d'un, alors-même que le public l'encense.
Machine de guerre et forcené de travail, il a aussi pour particularité d’être né quelques mois avant Hector Berlioz avec qui il entretiendra une haine cordiale tout au long de leurs carrières parallèles. Adam s’attire notamment les foudres de Berlioz, qui lui repproche son prolifisme, sa facilité à monter rapidement ses œuvres, lui qui ne connaît alors pas le même enthousiasme du public en France. Un enthousiasme que Le Postillon de Lonjumeau emporte haut la main, exporté à travers toute l’Europe. Berlin, Vienne, Prague et même jusqu'à Riga où l'oeuvre sera dirigée par un jeune chef d’orchestres du nom de... Richard Wagner, qui - selon les dires de son épouse - sera même, plus tard, hanté par les mélodies du Postillon.
4. Equipe choc, opéra-comique chic
Loin de vouloir simplement moderniser Le Postillon de Lonjumeau, l’équipe rassemblée autour de cette opéra-comique de 1836 est muée par l’envie de le dépoussiérer et d’y ajouter une touche d’onirisme survolté et de couleurs.
Aux commandes de cette œuvre on retrouve la direction musicale de Sébastien Rouland, séduit par les partitions d’Adam et son “génie mélodique”. Le metteur en scène Michel Fau a quant à lui succombé à l’histoire d’amour aux reflets multiples que traduit la romance de Chapelou et Madeleine. Pour lui la pièce ne manque pas de féminisme et est portée avant tout par la force du rôle de Madeleine et son tandem avec sa bonne Rose, personnage qu’il incarne lui-même sur scène.
Pour sublimer encore le jeu des comédiens et la force des mélodies de l'orchestre, Christian Lacroix se joint au casting dans l’élaboration des costumes inspirés du XVIIIe. Perruques et chapeaux démesurés, surplombés de couleurs sauvages tout y est pour faire honneur au chef d'œuvre d’Adam.
5. Une prouesse vocale : le contre-ré
Le ténor Chollet brille lors de la création du Postillon de Lonjumeau grâce notamment au contre-ré, cette note si difficile à atteindre qu'elle en devint caractéristique de l’œuvre d'Adolphe Adam. Car en plus d'un tempéramment charmeur qui sied si bien au personnage, il maîtrise cette note suraiguë qui dans le livret décide de la carrière du postillon. Cette note, souvent critiquée par les compositeurs de son époque pour la technique de chant que son exécution nécessite (décidément Monsieur Berlioz), sera émise dans la production 2019 de l'Opéra Comique par le fameux Michael Spyres (aussi remarqué en 2018 dans La Nonne Sanglante de Charles Gounod), l’un des rares ténors capable aujourd’hui de monter dans ce registre, avec, qui plus est, une facilité déconcertante.