Du mythe à l’œuvre de Gluck et Berlioz en passant par Corot, le cirque ou l’illusion d’optique, voici en 5 points tout ce qu’il faut savoir sur Orphée et Eurydice à l’Opéra Comique.
1- Un mythe universel
Le mythe d’Orphée a toujours fasciné, il est intemporel car son sujet reste universel : la perte d’un être cher et l’impuissance face à la mort. Ce mythe symbolise aussi l’incroyable pouvoir de la musique et de la poésie. Orphée est un musicien virtuose dont la force du chant fait succomber aussi bien les vivants, les choses, que les morts ; il représente à lui seul l’allégorie même de la musique, et par la même occasion, de l’opéra.
Si l’histoire d’Orphée est pleine de péripéties et de protagonistes, son aventure commence véritablement lorsqu’il tombe amoureux d’Eurydice et lorsque celle-ci succombe de la morsure d’un serpent. Dévasté, Orphée ira la chercher aux Enfers aidé par Amour.
Ce mythe a engendré beaucoup d’écrits et d’interprétations artistiques, que ce soit dans la littérature, à l’opéra, au ballet ou au théâtre. Son origine reste floue, mais il est communément admis que les auteurs de sa retranscription sont Virgile (Géorgiques) et Ovide (Les Métamorphoses). Plusieurs lectures et donc plusieurs adaptations existent, notamment concernant la règle formulée par Hadès et qui conditionne le retour d’Eurydice des Enfers : Orphée ne devra pas la regarder avant leur arrivée à la surface de la Terre, sous peine de provoquer sa mort une seconde fois. Bien sûr, Orphée se retourne, sinon le mythe n’existerait pas.
Pour quelle raison Orphée n’a-t-il pas su résister à la tentation de se retourner alors qu’il avait réussi le plus dur : convaincre Hadès de le laisser entrer vivant aux Enfers ? Chaque auteur y va de sa propre interprétation. Est-ce parce qu’Eurydice manque de trébucher ? Eurydice doute-t-elle de l’amour d’Orphée et le contraint à se retourner ? Orphée veut-il simplement être sûr qu’Eurydice est bien derrière lui ? Est-ce tout simplement la fatalité de son destin ? La conclusion choisie apporte à chaque fois un nouveau regard sur l’œuvre et, de la littérature à la peinture, en passant par le cinéma - pour ne citer que Jean Cocteau en exemple - le mythe d’Orphée continue à fasciner. Aurélien Bory et Raphaël Pichon s’en emparent aujourd’hui avec trois solistes féminines fidèles de la salle Favart sur scène: Marianne Crebassa interprètera Orphée, Hélène Guilmette Eurydice et Lea Desandre Amour.
2- Un opéra remanié par Berlioz
Véritable adorateur de Gluck, Hector Berlioz aurait arrêté ses études de médecine après avoir écouté Iphigénie en Tauride, pour se lancer lui-même dans la musique. En effet, Berlioz admire Gluck notamment pour sa “réforme” de l’opéra qui a permis de rendre plus vrai et important le jeu des solistes sur scène.
Lorsque qu’on lui confie la tâche d’adapter Orphée et Eurydice pour la grande Pauline Viardot en 1859, il décide de s’inspirer des deux versions établies par Gluck : l’une italienne (rôle d’Orfeo tenu par un castra) et l’autre française (rôle d’Orphée tenu par un ténor). Berlioz conserve la partition française, mais renoue avec la version italienne et transpose la voix de ténor dans une tessiture convenant à Pauline Viardot. Orphée devient ainsi un rôle travesti interprété par une mezzo-soprano. Berlioz harmonise les tonalités, notamment pour des instruments plus modernes. L’ouverture, considérée comme trop festive et mondaine, est conservée mais jouée pendant que les spectateurs s’installent dans la salle. La fin est écourtée et modifiée.
C’est donc une œuvre ouverte, remaniée et réinterprétée à toutes les époques par de nombreux chanteurs et compositeurs, à commencer par Gluck lui-même, que Raphaël Pichon et Aurélien Bory s’approprient à leur tour aujourd’hui. De la version de Berlioz, en français et avec trois rôles féminins, ils choisissent de ne pas jouer l’ouverture, estimée trop flamboyante et déconnectée de la tragédie qui s’annonce. Ils la remplacent par une autre pièce de Gluck, plus dramatique, Larghetto, extrait du ballet Don Juan ou le Festin de pierre de Gluck (1761). A l’instar, les longues scènes de danse, imposées pour le ballet de l’Opéra de Paris en conclusion de l’œuvre, ne sont pas toutes conservées.
3- La magie du Pepper’s Ghost
Aurélien Bory aime se définir comme un metteur en scène de l’espace : il aborde les lois physiques du plateau et c’est avec la gravité et la perspective qu’il aime jouer. Visuellement, il a choisi d’utiliser un univers et des procédés contemporains à Berlioz, comme pour replonger le spectateur d’aujourd’hui au XIXe siècle. C’est ainsi grâce à un dispositif physique et optique - dont l’invention date du XIXe siècle - qu’Aurélien Bory a choisi de figurer le « passage » d’Orphée entre les mondes des vivants et des morts: le Pepper’s Ghost, du nom de son créateur Monsieur Pepper. Ce procédé d’illusion d’optique qui par jeu de réflexion lumineuse ou de transparence permet de faire apparaître les objets - ou des individus – ou au contraire de les faire disparaître, utilise une fine plaque de verre (aujourd’hui remplacée par un plastique léger) et des éclairages particuliers. Utilisée dans les spectacles de magie nouvelle et notamment mis à l’honneur aujourd’hui par la compagnie 14:20, la technique du Pepper’s Ghost a aussi récemment fait son apparition sur des scènes moins spécialisées, comme à l’occasion de la campagne du politicien Jean-Luc Mélenchon en 2017, lors d’un concert de Beyoncé ou bien encore avec l’apparition du rappeur Tupac (décédé en 1996) aux côtés de Snoop Dogg sur la scène du festival américain Coachella en 2012. Dans ces trois cas, il ne s’agit pas d’hologrammes en trois dimensions comme c’était annoncé, mais bien d’une image diffusée en 2D. Un projecteur haute définition, situé au-dessus de la scène émet une image sur une surface transparente. Celle-ci se reflète alors sur un écran transparent, généralement incliné à 45°, donnant une impression de profondeur.
Aurélien Bory a fait le choix de ne pas masquer la technique du Pepper’s Ghost, qu’il donne à voir sur scène. Si vous êtes curieux.se des illusions d’optique, la mise en scène d’Orphée et Eurydice vous ravira !
4- La peinture s’invite sur scène
Pour Aurélien Bory, tout est lié, surtout dans l’art. Il se trouve que le Pepper’s Ghost n’est pas simplement sur scène pour séparer le monde des morts et celui des vivants, mais aussi pour mettre en valeur une grande toile de Jean-Baptiste Corot, Orphée ramenant Eurydice des Enfers. Le reflet du Pepper’s Ghost permet de faire apparaître la peinture de Corot comme si elle était suspendue aux cintres, en exposition aux spectateurs. Pour le metteur en scène, cette œuvre peinte en 1862 fait naturellement écho à Orphée et Eurydice dans la version de Berlioz qui a été créée à la même époque et présentée au Théâtre-Lyrique seulement trois ans auparavant.
Cette coïncidence va aussi de pair avec l’esprit de transition, de passage, du monde des morts à celui des vivants pour Orphée, du changement d’un opéra statique à un opéra en mouvement que Gluck a engendré, et dans la peinture de Corot avec des traits perceptibles des prémices du passage à l’impressionnisme.
Par l’image et par l’acoustique, l’Orphée et Eurydice d’Aurélien Bory et Raphaël Pichon parle ainsi de ce principe de la transition, de la séparation et de la conséquences des choix opérés dans une vie.
5- Un opéra qui mêle les genres : du cirque à la magie
La compagnie 111 créée par Aurélien Bory en a fait sa marque de fabrique, c’est l’espace qui compte avant toute chose : « La scène est un espace. (…) Cet espace est le seul support de l’art où l’on ne peut échapper aux lois de la mécanique générale. (...) Les corps, les objets sont soumis à la gravité sans échappatoire possible. (...) Le corps, l’objet sont pertinents pour parler de gravité. ».
Ce sont les arts de la danse, de la magie et du cirque qui permettent au metteur en scène de traiter de l'espace et de la gravité. Un combo parfait pour faire rêver et pourquoi pas donner l’illusion des Enfers sur scène... Aurélien Bory a notamment travaillé avec Raphaël Navarro, spécialiste de magie nouvelle, qui place le déséquilibre des sens et le détournement du réel au centre des enjeux artistiques. Il s’est également inspiré du ballet de Pina Bausch Orphée et Eurydice. Ainsi, circassiens et danseurs, mêlés au choeur Pygmalion, joueront les Furies des Enfers, dissuadant Orphée d’y pénétrer.
Maintenant, vous êtes - presque - incollable sur Orphée et Eurydice, il ne vous manque plus que de venir découvrir l’opéra en chair et en os… les Enfers vous tendent les bras salle Favart..!