Voyager dans la Lune, tous les Terriens en rêvent ! Même encore aujourd’hui, un demi-siècle après le premier pas de Neil Arsmtrong sur notre satellite, le 21 juillet 1969.
Artistes, savants et philosophes n’ont cessé d’en poursuivre l’idée, d’imaginer le voyage, l’exploration, les découvertes et rencontres, des plus raisonnables aux plus folles. Mais aussi, et surtout, le retour sur eux-mêmes et chez eux des voyageurs ; les enseignements et réflexions qu’offre le regard porté, à distance, sur notre petite planète perdue dans l’infini du cosmos...
Depuis que le Grec Lucien de Samosate a imaginé, au IIe siècle de notre ère, les habitants de la Lune dans ses Histoires vraies, on a pris l’habitude de les nommer « Sélénites », du nom grec de la déesse Séléné – dont Luna est l’équivalent latin.
À la Renaissance, des savants qui adhéraient à la théorie de l’héliocentrisme défendue par Copernic, comme Giordano Bruno et Johannes Kepler, sont amenés à imaginer, parfois au péril de leur vie, d’autres astres habités, d’autres humanités. Des écrivains modernes laissent libre cours à leur fantaisie, quitte à passer pour fous, comme Francis Godwin et Cyrano de Bergerac. Le siècle des Lumières naissant interroge la pluralité des mondes, avec Fontenelle et Huygens, déployant l’univers par-delà les faces et profils lunaires. Car les techniques d’observation de l’espace et l’optique se sont perfectionnées au XVIIe siècle, de Galilée à Huygens, précisant les orbites des planètes et la cartographie de la Lune, révélant les satellites de Jupiter, les anneaux de Saturne, les reliefs de Mars…
Au XIXe siècle, François Arago défend l’idée d’une astronomie populaire, qu’il met en œuvre dans ses cours publics. Son héritier Camille Flammarion, contemporain de Jacques Offenbach, multiplie les ouvrages de vulgarisation illustrés, que publie son frère Ernest. Illustrations de plus en plus précises, qui vont bénéficier de l’essor de la photographie.
Dans sa grande série romanesque des Voyages extraordinaires, Jules Verne se consacre très tôt à l’exploration spatiale. Après Cinq semaines en ballon et les aventures nordiques du Capitaine Hatteras et du Voyage au centre de la Terre, il publie De la Terre à la Lune en 1865, et Autour de la Lune en 1870, tous deux abondamment illustrés. Ses 57 autres romans reviendront à notre planète et en exploreront mers et continents.
Ce n’est pas seulement le succès des adaptations scéniques des romans de Verne, à partir de 1874, mais plus largement celui des féeries, splendides spectacles très à la mode à Paris dans les années 1870 – en particulier celui de Qui veut voir la Lune ? en 1871 – qui donne à trois collaborateurs d’Offenbach l’idée de camper sur la Lune l’intrigue d’un opéra-bouffe fantaisiste, avec une pointe de science et deux once de satire. De quoi permettre à Offenbach de renouer avec la poésie d’Alfred de Musset, dont la Ballade à la Lunea lui inspire à la même époque Fantasio.
Les techniques théâtrales ont beaucoup progressé dans la seconde moitié du siècle. Le gaz, l’électricité, l’optique et la prestidigitation permettent la multiplication des prodiges visuels. Par ailleurs, tout autant que la musique, la danse s’avère indispensable. Bien des féeries ressemblent ainsi à de grandes revues, sur le modèle anglo-saxon, qu’animent d’importants effectifs d’artistes et de nombreux changements de décors.
Offenbach épouse avec talent cette fièvre théâtrale, allant jusqu’à réviser ses titres les plus fameux d’avant 1870 pour en faire de grands spectacles, à l’instar des recréations d’Orphée aux enfers et de Geneviève de Brabant, respectivement en 1874 et février 1875. Il conçoit aussi des féeries originales, avec les librettistes astucieux qu’il sait mobiliser : Le Voyage dans la Lune est, en 1875, la deuxième du genre après Le Roi Carotte en 1872.
1875, année de l’inauguration du Palais Garnier, de la création de Carmen et de la mort de Bizet, est donc aussi celle où Offenbach et ses complices, les auteurs du livret, l’affichiste Jules Chéret, le costumier Alfred Grévin (fondateur du musée), le chef d’orchestre Albert Vizentini et bien d’autres, emmènent les Parisiens sur la Lune. Le décollage a lieu le 26 octobre 1875 au Théâtre de la Gaîté, dont Offenbach a quitté la direction quatre mois plus tôt – pour mieux y retrouver sa liberté de création. Un théâtre qui s’est fait une spécialité des « grosses machines », n’hésitant pas à exposer des éléments de décors sur sa façade, face au square des Arts-et-Métiers (aujourd’hui Émile-Chautemps, dans le 3e arrondissement).
Parmi les excellents interprètes d’Offenbach figure sa soprano favorite, Zulma Bouffar, qui chante en travesti le rôle du prince Caprice. Ce prince qui a demandé la Lune à son père, le roi V’lan, et qui l’obtient. Et qui va non seulement y découvrir l’amour… mais l’y amener !
De cet ouvrage aux proportions extraordinaires – à sa création le spectacle comportait 31 numéros musicaux et durait presque 6 heures – Laurent Pelly, Agathe Mélinand et Alexandra Cravero ont fait un conte joyeux et accessible, d’une portée politique, pour les jeunes artistes de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique, emmenés par un Franck Leguérinel souverain.
Le théâtre est un merveilleux outil d’éducation et d’épanouissement. Encore plus lorsqu’il permet à la jeunesse, sur scène et dans la salle, de réfléchir à la fragilité de la planète dont elle aura bientôt la responsabilité.
Agnès Terrier, dramaturge de l'Opéra Comique