Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter ce projet ?
Saint-Saëns fait partie des figures de proue du répertoire que nous défendons au Palazzetto Bru Zane. Alors qu’il a écrit une dizaine d’opéras, il est étonnant de constater que son œuvre lyrique dort dans les placards. Nous avions déjà permis au public de réentendre Les Barbares, Proserpine, Le Timbre d’argent et dernièrement La Princesse jaune. Phryné est son seul opéra-comique, lui qui avait la réputation d’être sage et sérieux. Même la presse de l’époque se demandait si « Saint-Saëns pouvait être drôle » !
La légèreté et la répartie dans les dialogues prouvent que oui !
Vous proposez une version rare de l’œuvre...
En effet, l’opéra-comique est, à l’origine, écrit en dialogues parlés et en alexandrins. L’éditeur Durand décide de la traduire pour les théâtres internationaux. C’est André Messager qui, en 1896, se charge de composer des récitatifs en italien-français dans la fluidité de l’écriture de son maître. Nous donnons cette version rarissime.
"Je vois, dans l’œuvre,
une fluidité étonnante avec des
enchaînements très naturels [...]"
L’œuvre a connu un grand succès. Pourquoi a-t-elle donc été oubliée ?
C’est vrai que l’on justifie souvent la disparition des œuvres par leur manque de succès d’époque, ce qui n’est pas le cas ici ! Elle est, du vivant de Saint-Saëns, sa deuxième œuvre la plus populaire après Samson et Dalila. Sa disparition est sans doute due à la méfiance entretenue pour les sujets antiques, que le public d’aujourd’hui trouve parfois fastidieux. Sa courte durée, 1h10, l’a rend aussi difficilement envisageable dans les formats actuels qui privilégient les pièces plus longues et boudent le couplage d’œuvres, considéré comme une forme bâtarde.
Quelles sont ses richesses ?
Saint-Saëns a lui-même dit : « Je n’ai rien fait de mieux que le second acte de Phryné ». Le duo d’amour et l’air de Phryné y sont en effet magnifiques. Je vois, dans l’ensemble de l’œuvre, une fluidité étonnante avec des enchaînements très naturels et l’utilisation de références et de clins d’œil musicaux qui travaillent subtilement la mémoire de l’auditeur.
Pourquoi Saint-Saëns a pu être considéré comme un compositeur mal-aimé, en comparaison à Debussy ou Ravel ?
C’est ce que l’on dit souvent, pourtant je ne connais aucun autre compositeur qui touche à autant de genres et dont les œuvres ont été jouées sans discontinuité depuis son vivant. Une dizaine de ses compositions ont fait le tour de la Terre. Ni Massenet, ni Berlioz ou Bizet n’ont autant d’œuvres qui soient des tubes. Saint-Saëns, c’est une musique qui parle peut-être plus facilement au grand public.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier
Entretien extrait du programme de l'Opéra de Rouen
Direction musicale Hervé Niquet • Avec Anne-Catherine Gillet, Cyrille Dubois, Anaïs Constans, Thomas Dolié, Matthieu Lécroart, Camille Tresmontant • Orchestre National d'Île-de-France • Chœur Concert Spirituel
Samedi 11 juin à 20h