
Rencontre avec Clara Olivares | Les Sentinelles
Transcription textuelle
Écouter pour la première fois l’orchestre se saisir de ma partition c’est bien sûr un moment rempli d’émotions parce que j’avais vécu avec cette partition pendant longtemps. J’ai écrit chaque note, j’ai vraiment pensé chaque son et donc il y avait aussi cette… Non pas cette angoisse, mais cette petite appréhension de se dire : « Est-ce que tout va fonctionner ? Est-ce que tout va éclore ? » Les Sentinelles, c’est un opéra qui naît d’une rencontre entre Chloé Lechat et moi-même. On s’est rencontrées au Festival d’Aix-en-Provence en 2019. Nous avons tout de suite voulu travailler ensemble, on avait des préoccupations communes autour du langage, autour de la communication, l’impossibilité de communiquer, l’expression de soi. Et Chloé s’est tout de suite mise à écrire, dès les semaines qui ont suivies. Elle a écrit une première mouture du livret. Et puis, à partir de là, on a vraiment construit une vraie proposition artistique, à partir de toute cette matière qu’elle avait déjà proposée. Puis elle a écrit ensuite une version finalisée du livret. Et donc, mon travail, ça a été à la fois de m’emparer de cette matière textuelle et du sens, et même des premières propositions de mise en scène, puisque Chloé Lechat fait à la fois le livret et la mise en scène. J’ai aussi réfléchi au rôle de l’orchestre. Comment exprimer musicalement des choses ? Quels accords, quelles harmonies ? Comment amener de la tension, de la détente, dans un univers musical et esthétique particulier. Lors de mes premières réflexions autour des voix, j’avais imaginé des voix qui étaient personnifiées de manière très particulière, presque comme de la caricature. Avec la femme très jalouse, la femme éplorée… Et puis, au fur et à mesure de l’écriture, j’ai finalement trouvé beaucoup de points d’attache, de points communs d’une voix à l’autre pour arriver à une matière qui est finalement assez ronde et assez commune entre les trois propositions vocales. Elles s’emparent de leurs textes avec leur propre déploiement vocal et leurs propres caractéristiques. Mais finalement, le résultat est quelque chose de l’ordre d’une communication retrouvée. C’est était aussi ça l’objectif de mon écriture. Il y a aussi une autre chose, c’est que, encore une fois, les personnages n’évoluent pas seuls, il y a l’orchestre avec eux. Et l’orchestre va aussi mettre en lumière, parfois avec une doublure de basson, une doublure de clarinette, certains traits de caractère, certains éléments, et c’est aussi sur ce jeu-là que se construit une identité vocale, finalement. L’une des particularités de cet opéra c’est qu’il y a non seulement trois chanteuses sur scène, mais il y a aussi une comédienne, le rôle de l’enfant. Et c’est une matière purement textuelle. Et donc, c’était plutôt de la responsabilité de Chloé Lechat, en tant que librettiste, de lui insuffler une caractéristique particulière, une manière de parler qui est d’ailleurs très intéressante puisque c’est une enfant qui parle presque comme une adulte, avec un vocabulaire un peu déroutant. Et ensuite, je me suis emparée de ça dans la musique en lui laissant de l’espace et aussi en trouvant pour la musique des manières de toujours assurer une continuité, une sorte de tapis qui vient accompagner doucement la comédienne mais sans jamais l’écraser. Écouter pour la première fois l’orchestre se saisir de ma partition c’est bien sûr un moment rempli d’émotions parce que j’avais vécu avec cette partition pendant longtemps. J’ai écrit chaque note, j’ai vraiment pensé chaque son. Et c’est vrai qu’il y avait quelque chose d’un lâcher prise aussi, de dire : « Ça y est ! J’ai mis le point final et ce qu’il se passe maintenant n’est quasiment plus de mon ressort. » La musique, dans l’opéra, va venir, finalement, donner une métrique, donner une temporalité, donner une durée à tout et il faut que le spectacle naisse à partir de là aussi. Et donc il y avait aussi cette… Non pas cette angoisse mais cette petite appréhension de se dire : « Est-ce que tout va fonctionner ? Est-ce que tout va éclore ? » Et ça, c’était un vrai moment chargé d’émotions pour moi.
« Avec Chloé Lechat, nous avions beaucoup de préoccupations communes autour du langage, de l’impossibilité de communiquer et de l’expression de soi. »
Clara Olivares Compositrice
Opéra en deux actes. Composition de Clara Olivares. Livret de Chloé Lechat. Création le 10 novembre 2024 à l’Opéra National de Bordeaux puis à retrouver en avril 2025 à l'Opéra-Comique.
Composition, Clara Olivares • Direction musicale, Lucie Leguay • Mise en scène, Chloé Lechat • Avec Anne-Catherine Gillet, Sylvie Brunet-Grupposo, Camille Schnoor, Noémie Develay-Ressiguier • Orchestre National Bordeaux Aquitaine