Représentations
Conte magique et philosophique, L'Île de Merlin ou Le Monde renversé est un opéra-comique en un acte composé par Christoph Willibald Gluck et créé à Vienne en 1758. Le livret, en langue française, est une version remaniée en 1753 par Louis Anseaume de la comédie mêlée de vaudevilles Le Monde renversé, créée par Lesage et d’Orneval à l’Opéra-Comique, Foire Saint-Laurent, en 1718.
Après des études à Prague, un séjour en Italie et plusieurs voyages en Europe, le compositeur allemand Christoph Willibald Gluck (1714-1787) s’installe à Vienne en 1752. Son opéra Le Cinesi, joué devant la cour impériale, rencontre un franc succès et est repris au Burgtheater, principal théâtre de la capitale autrichienne. Son directeur, Giacomo Durazzo, nomme Gluck compositeur attitré de l’institution et lui confie l’adaptation d’opéras-comiques français envoyés par le librettiste Charles-Simon Favart. De 1758 à 1764, Gluck arrange ainsi une dizaine d’opéras-comiques en composant soit des ariettes à intercaler dans l’œuvre originale, soit de nouvelles partitions complètes.
Le livret de L’Île de Merlin, qui repose sur le registre satirique et sur l’inversion des valeurs, a inspiré à Gluck une partition d’opéra-comique qui peut illustrer aussi bien la facétie propre à la comédie que le sérieux des situations tragiques. Les deux héros de la comédie, Pierrot et Scapin, acteurs de métier, ont fait naufrage sur l’île de l’enchanteur Merlin, un monde renversé où les règles de vie sociale sont bouleversées, où les époux sont toujours fidèles et la justice toujours équitable. Vont se croiser un personnage provenant d’une légende médiévale (Merlin), d’autres issus de l’univers de la commedia dell’arte (Pierrot et Scapin), et les habitants d’une île fictive aux professions bien ancrées dans la réalité (médecin, notaire, procureur).
L’Île de Merlin s’ouvre sur une musique de tempête, introduction que Gluck reprendra pour l’ouverture de la tragédie Iphigénie en Tauride, créée en 1779. D’autres extraits de la partition se retrouveront dans le ballet Don Juan (1761) ou encore dans l’opéra Orfeo ed Eurydice (1762).
La mise en scène de Myriam Marzouki est placée sous le signe du jeu dans toutes ses acceptions : rivalité amoureuse et jeu de séduction, ambiance de casino et jeux de dés… La salle Bizet prend des airs de café des années 1930 le temps de ce spectacle à la fantaisie réjouissante. Comme un clin d’œil aux cartoons farfelus de Tex Avery, l’absurdité et l’humour dialoguent avec la critique politique et la satire sociale. La modernisation des dialogues par Sébastien Lepotvin pour cette production de 2025 et le travail d’actualisation musicale par Guillemette Daboval et Sammy El Ghadab (artistes de l’Académie) respectent le rythme et l’esprit de l’œuvre originale, qui mêle légèreté de ton et profondeur philosophique.
À la suite d’une tempête, Pierrot et Scapin font naufrage dans le royaume de Merlin, leur ancien maître. L’enchanteur leur avait promis qu’un jour, ils feraient fortune dans un nouveau pays. Leur désespoir est donc de courte durée, d’autant qu’apparaît par magie une table bien garnie. Rassasiés, ils se sentent disposés à l’amour lorsqu’ils aperçoivent Argentine et Diamantine. Or, les lois du monde renversé leur réservent bien des surprises. Plusieurs habitants de l’île (un philosophe enthousiaste, un procureur candide, une femme médecin, un chevalier poète) viennent à leur rencontre et leur exposent les mœurs et règles en usage en ces lieux. Pierrot et Scapin vont affronter – sans violence, puisqu’elle est bannie – leurs rivaux Zerbin et Hanif, dans l’espoir d’épouser les deux jeunes femmes.
« Scapin et Pierrot sont rescapés d’un naufrage évoqué dans la Sinfonia d’ouverture et ils échouent sur une île aux mœurs et aux lois stupéfiantes : la joie, la justice sociale et l’honnêteté y règnent… ! En douze tableaux burlesques, ils vont faire la rencontre de quelques habitants de cette terra incognita…
Il y a dans L’île de Merlin ou Le Monde renversé la fantaisie du conte et le piquant de la satire. Entre Les Lettres persanes de Montesquieu et L'Île des esclaves de Marivaux, le naufrage de Scapin et Pierrot sur l’île de Merlin les projette dans un ailleurs qui permet de faire la critique d’ici.
Dans une version aux dialogues modernisés, les huit interprètes de cette production incarnent les douze personnages d’une comédie joyeuse dont la vivacité des situations sert un propos qui n’a pas perdu de son acuité. Utopie au sens littéral, L’île de Merlin est un topos imaginaire où se trament à la fois la dynamique joyeuse de la fable et le regard critique qui ausculte les inégalités du Paris de l’époque.
Ces deux directions ont guidé mon regard sur l’œuvre : le fil critique du livret d’Anseaume qui nous tend un miroir où contempler ce que notre monde continue d’inverser et la fable pétillante, vive et pleine de drôlerie, avec sa galerie de personnages excentriques. La puissance du rêve offre des échappées imaginaires qui permettent, grâce à la fiction, de supporter un monde devenu insupportable mais aussi, en certaines époques, de le transformer… C’est cette logique, libre et émancipatrice du rêve, que j’ai suivie pour mettre en scène cette Île de Merlin. »
Myriam Marzouki
Direction Musicale Guillemette Daboval / Sammy El Ghadab • Mise en scène, Myriam Marzouki • Directrice des études musicales, Flore-Elise Capelier • Avec Ulysse Timoteo, Dominic Veilleux, Benoit Dechelotte, Léontine Zimmerlin, Vincent Guérin, Michèle Bréant, Fanny Soyer, Gulliver Hecq
Voir toute la distributionSalle Bizet | Durée : 1h15
Production Opéra-Comique
Coproduction Compagnie du dernier soir
Distribution











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Acteur majeur de la création lyrique depuis plus de trois siècles, l’Opéra-Comique ouvre en 2023 une Académie à destination des nouvelles générations d’interprètes.
Elle a vocation à promouvoir le genre opéra‑comique et son art spécifique de l’interprétation au plus près des textes et du jeu scénique. Elle se veut donc pôle d’excellence artistique autour du chant français et de l’art du parlé-chanté. L’Académie vise aussi à faire émerger et à accompagner les jeunes artistes francophones en les encourageant à développer de nouveaux regards sur l’art lyrique et sur sa vitalité.