En France, un enfant est tué par sa mère tous les dix jours. Lorsqu’on interroge ces femmes en prison sur les raisons de leur geste, la plupart répondent : « Nous n’avions pas le choix. » Peut-être est-il temps de revoir nos jugements et de rouvrir certaines enquêtes pour mieux en comprendre l’histoire. Car derrière les représentations figées du monstre mythologique à la fois fascinant et répulsif se cache une vérité humaine complexe, profonde, et bouleversante. Médée n’est pas seulement une figure tragique ; elle est aussi une femme. Une femme étrangère, exilée loin de sa patrie, ayant sacrifié tout ce qu’elle possédait — sa famille, sa terre, sa vie d’avant — pour suivre un homme : Jason. Elle l’a aidé à conquérir la Toison d’or, trahi les siens, et même tué pour lui. Mais en retour, Jason la rejette pour une autre femme, abandonnant Médée et lui retirant ses enfants.
Euripide, Sénèque, Ovide, Corneille, Müller, Pasolini … Nombreux sont les auteurs captivés par l’aura de la sorcière au fil des siècles. Mais la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole choisit de réinterpréter cette figure, non plus comme la criminelle irréductible, mais comme la mère déchirée par l’amour et la trahison. Médée n’est plus montrée comme un monstre à juger mais simplement comme un être humain à comprendre. Les élans de sa colère trouvent leur origine dans un désir profond de justice, et sa descente dans l’irréparable reflète l’insupportable douleur de l’abandon.
Les choix artistiques de la directrice musicale Laurence Equilbey confortent cette dimension humaine. Elle explore de sa baguette la tension entre les conflits intérieurs et l’amour maternel du personnage, cherchant dans cette partition la clé capable d’ouvrir les portes de l’inexprimable : « dans le final de l’opéra, l’orchestre annonce le dénouement : il déploie une ligne torturée, sombre, dans laquelle un sinistre ré mineur succède au lumineux ré majeur. ».
Pour en finir avec la femme fatale
Dehors la furie vengeresse au profit de la mère poussée à l’extrême, victime de circonstances qui la dépassent. Marie-Eve Signeyrolle s’interroge : « Et si Médée n’était ni un monstre, ni une sorcière mais une femme, cultivée qui plus est, devenue l’incarnation des fantasmes de peur, de désir et de barbarie que la société projette sur "l’étranger" ? ». Cette nouvelle production de l’Opéra-Comique ne cherche pas à réhabiliter ses actes, mais à nous confronter à nos propres limites, à notre propre humanité. Si Médée nous est monstrueuse, c’est peut-être parce que nous refusons d’accepter que de telles émotions puissent exister en chacun de nous.
Déconstruire le mythe de Médée, c’est interroger notre tendance à simplifier les figures complexes, à enfermer les femmes puissantes dans des rôles diabolisés. Loin de l’archétype de la femme fatale, elle devient un miroir, certes troublant, mais nécessaire. Le miroir de nos passions, de nos blessures et de nos faiblesses. Le miroir de notre humanité.