Rencontre avec Laurence Equilbey | Médée

Invitée par l'Opéra-Comique à se saisir du Médée de Cherubini, la cheffe d'orchestre Laurence Equilbey nous parle du compositeur italien et de ce qui fait de Médée une œuvre unique, tant sur le plan musical que dramatique.

Publié le 29 janvier 2025
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Rencontre avec Laurence Equilbey | Médée

Transcription textuelle

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Cherubini est un personnage assez fascinant. Il est une figure musicale qui traverse toutes les époques, les styles et même les frontières. Il faut savoir qu’il naît en 1760, c’est-à-dire quatre ans après Mozart, donc il en est le contemporain et il meurt en 1843, quatre ans avant Mendelssohn. Il est formé en Italie, il passe par l’Angleterre et il mène ensuite sa carrière en France. 

On peut dire que sa musique est très ancrée dans le contexte qui l’a vu naître : l’opéra de la fin du 18ème siècle, le style classique viennois, la réforme gluckiste, le style symphonique beethovenien tout en développant sa propre cohérence harmonique et rythmique. Cherubini vit à Paris à cette époque et, en 1788, et 1791, il a déjà deux succès d’opéra qui sont Demophon et Lodoïska.

Médée est créée en 1797 au théâtre Feydeau et connait un véritable triomphe. Il y aura trente-neuf représentations puis, le titre disparait malheureusement du répertoire. La version originale est cette version française avec textes parlés en vers. Le livret, du très brillant François-Benoît Hoffman, est vraiment excellent. D’ailleurs, il avait déjà écrit des pièces pour Méhul et Lemoine.

Les alexandrins sont très expressifs et très directs, très actuels et je sais que l’opéra avait refusé ce livret à l’époque et, comme il avait l’exclusivité des tragédies lyriques en français, Cherubini a imaginé cette forme parlée chantée pour le théâtre Feydeau, donc la forme opéra-comique.

Avec cette version, la dimension théâtrale et tragique de l’œuvre est extrêmement forte et on ressent vraiment la mixité d’approche entre la tragédie en musique et la tragédie dramatique.

Et l’architecture dessine vraiment des grands blocs voulus musicalement par Cherubini et on voit qu’on est en marche vers le grand opéra de la génération d'après.

On trouve, dans l’orchestre de Cherubini pour cet opéra, des pages orchestrales absolument saisissantes, notamment les introductions instrumentales de chacun des actes.

Notamment celles de l’acte II et III rappellent que la période est celle d’une Terreur en musique qui se complait dans une esthétique de la violence, avec un style heurté, discontinu, volontiers lugubre.

L’orchestre est aussi un acteur du drame. Comme chez Gluck, il révèle la psyché des personnages qui sont très caractérisés. Et je trouve que l’orchestration est très subtile, avec notamment un travail original pour le traitement des voix. Ils jouent très rarement ensemble, ce qui donne une couleur de registre très spécifique. À noter aussi, une absence totale de trompette dans cette œuvre.

Et par ailleurs, il y a énormément d’indications dynamiques dans cette partition, notamment quand les voix sont là et on voit que c’est très ouvragé, on sent que Cherubini était très attentif à la balance orchestre voix.

À cette époque, Médée a suscité l’admiration de nombreux compositeurs. Je peux vous citer Beethoven, Weber, Schuman et aussi Berlioz.

Et Berlioz admirait la science de Cherubini pour le clair obscur et la dégradation progressive du son. Et Brahms voyait en cette œuvre le sommet de la musique dramatique, donc c’est vous dire l’importance de Médée à son époque.

L’histoire de Médée et Jason est très riche sur le plan sentimental, politique et sociétal. Depuis le premier épisode de la toison d’or, qui scelle l’amour entre l’enchanteresse qu’est Médée et le conquérant qu’est Jason, jusqu’à l’exil de Médée.

L’épisode central de l’histoire, celui de l’assassinat des enfants, est celui qui est le plus traité par les écrivains et les compositeurs mais, cependant, il faut connaître le début de l'histoire pour pouvoir comprendre l’épisode central.

Donc Médée n’est pas une femme hystérique ou folle, elle agit ainsi parce qu’elle est dans une impasse qu’elle a elle-même provoquée avec Jason.

Et donc, pour connecter cette tragédie à sa source, nous avons choisi, avec Marie-Ève Signeyrole, d’évoquer une lettre que Médée écrit à Jason, qui a été trouvée dans Les Héroides, chez Ovide, où elle lui expose tous ses griefs du premier épisode.

Et on comprend que le crime et le sang sont là depuis longtemps entre les deux amants et que ces méandres dramatiques font de ce livret une trame vraiment unique pour l'opéra.

Et moi, ce qui me frappe dans Médée, alors que le 19ème siècle n'est même pas commencé, c'est la continuité dans le discours musical, très rarement interrompu, et avec une grande conscience de la forme.

Et la partition alterne, dans une même énergie, les dialogues, des récits, des airs, des duos, des ensembles, des chœurs avec énormément de contrastes et beaucoup de continuité au drame. 

Je trouve que Cherubini accompagne cette théâtralité de façon absolument exemplaire, très efficace au début, et, dès que le drame s'épaissit, la partition s'épaissit aussi et elle devient vraiment irrésistible à la fin.

« Avec cette version opéra-comique, la dimension théâtrale et tragique de l'œuvre est extrêmement forte. » 

Laurence Equilbey Directrice musicale

Opéra-comique de Luigi Cherubini en trois actes. Livret de François-Benoît Hoffman. Créé le 13 mars 1797 au Théâtre Feydeau. Nouvelle production.

Direction musicale, Laurence Equilbey • Mise en scène, Marie-Ève Signeyrole • Avec Joyce El-Khoury, Julien Behr, Edwin Crossley-Mercer, Lila Dufy, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, des solistes de l’Académie, des enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique • Orchestre, Insula orchestra • Choeur, accentus

Médée

Luigi Cherubini

8 au 16 février 2025

Médée n’a pas hésité à sacrifier sa famille à sa passion pour Jason. Rentré grâce à elle en Grèce, avec la Toison d’or, Jason conforte son statut de héros en épousant la fille de Créon, le roi de Corinthe. La fureur de Médée se déchaîne alors jusqu’à commettre l’inconcevable, le meurtre de leurs deux enfants.

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