Opéra en trois parties de George Benjamin sur un texte de Martin Crimp, 2012.
La création de Written on Skin au Festival d'Aix-en-Provence le 7 juillet 2012 a été l’événement lyrique de l’année, prouvant que l’opéra peut émouvoir profondément le public contemporain par sa capacité, peut-être plus forte encore que le cinéma, d’adapter aux préoccupations de notre temps des sujets anciens et les grands motifs de notre culture. Avec Written on Skin, Martin Crimp et George Benjamin transfigurent le fabliau médiéval du Cœur mangé en parabole sur le désir.
Le traditionnel trio amoureux est comme soumis à l’expérience par un dialogue absorbant la narration, le déploiement vertigineux du thème de l’illustration et le cérémoniel théâtral hypnotique de Katie Mitchell. À quelle gloire le seigneur des lieux aspire-t-il ? Que vient réellement dessiner chez lui l’enlumineur ? Quelle reconnaissance attend l’épouse, Agnes ? Quel met savoureux peut à tout jamais empêcher de s’alimenter ? Quelle est cette peau sur laquelle s’écrit l’histoire ? Pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’art lyrique, le moteur du drame n’est autre que le plaisir féminin.
Spectacle en anglais surtitré
Durée : 1h40 sans entracte
Introduction à l’œuvre par Agnès Terrier 40 minutes avant chaque représentation
Le spectacle sera diffusé en direct par France Musique le 19 novembre 2013. L'opéra est disponible en ligne sur France Musique jusqu'au 19 décembre 2013, cliquez ici >
Written on Skin a été primé aux Opera Awards dans la catégorie « création de l’année » 2012.
Bande-annonce de l'opéra Written on Skin de George Benjamin créé au Festival d'Aix-en-Provence en juillet 2012 réalisée par le Festival d'Aix.
PREMIÈRE PARTIE
I. Le Chœur des anges
Un chœur d’anges nous ramène huit cents ans en arrière, à l’époque où chaque livre est un objet précieux «écrit sur la peau». Ils donnent vie à deux des personnages principaux de l’histoire : le Protecteur, un propriétaire terrien, et son épouse obéissante. Un des anges devient alors le troisième protagoniste, le Garçon, un enlumineur de manuscrits.
II. Le Protecteur, Agnès et le Garçon
Le Protecteur demande au Garçon de célébrer sa vie et ses bonnes actions dans un livre enluminé. Comme preuve de son talent, le Garçon présente au Protecteur une miniature, portrait flatteur d’un homme riche et miséricordieux. Agnès se méfie du Garçon autant que de l’art des images, mais le Protecteur lui ordonne de faire bon accueil au Garçon.
III. Le Chœur des anges
Les anges rappellent la violence du récit biblique de la Création et son hostilité envers les femmes.
IV. Agnès et le Garçon
Agnès se rend dans l’atelier du Garçon pour voir «comment on fait un livre». Le Garçon lui montre une miniature représentant Ève. Agnès met le Garçon au défi de faire le portrait d’une «vraie» femme, comme elle. Une femme que lui, le Garçon, pourrait désirer.
V. Le Protecteur et les visiteurs, John et Marie
Le Protecteur a l’esprit occupé par le changement qui affecte le comportement de sa femme. Quand la sœur d’Agnès, Marie, arrive avec son époux John, elle se demande s’il est pertinent de faire ce livre et s’il est sage d’inviter un étranger à la table familiale. Le Protecteur défend le livre autant que le Garçon, et menace de chasser John et Marie.
VI. Agnès et le Garçon
Une nuit, le Garçon s’introduit dans sa chambre pour lui montrer la peinture qu’elle lui a demandée. Agnès en vient à reconnaître que l’image de cette femme éveillée dans son lit est son portrait. Comme ils examinent ensemble la peinture, la tension sexuelle monte jusqu’à ce qu’Agnès s’offre au Garçon.
DEUXIÈME PARTIE
VII. Le mauvais rêve du Protecteur
Le Protecteur rêve que ses gens se rebellent contre le coût du livre et qu’une rumeur prétend que le livre contient une page secrète, «mouillée comme la bouche d’une femme», où l’on voit Agnès «attirer le Garçon dans un lit secret».
VIII. Le Protecteur et Agnès
Le Protecteur se réveille et étend le bras vers sa femme. Elle demande à son mari de la toucher mais il la repousse. Elle refuse de se voir traiter «d’enfant» et lui dit que, s’il veut connaître la vérité à son sujet, il faut qu’il aille voir le Garçon.
IX. Le Protecteur et le Garçon
Le Protecteur trouve le Garçon dans le bois. Il exige de connaître le nom de la femme qui «crie et transpire avec [lui] dans un lit secret». Le Garçon, qui ne veut pas trahir Agnès, avoue au Protecteur qu’il couche avec la sœur d’Agnès, Marie, et brosse un tableau absurde des fantasmes érotiques de Marie.
X. Agnès et le Garçon
Agnès accuse le Garçon de la tromper. Il explique qu’il a menti pour la protéger – mais cela ne fait qu’accroître sa colère. S’il l’aime vraiment, il doit avoir le courage de dire la vérité, et en même temps de punir son mari. Elle exige que le Garçon crée une nouvelle image, qui détruira la suffisance de son mari.
TROISIÈME PARTIE
XI. Le Protecteur, Agnès et le Garçon
Le Garçon montre au Protecteur et à Agnès quelques pages du livre à présent terminé : une série d’atrocités.
Le Garçon affirme que ce sont bien là des images du paradis sur cette terre – le Protecteur n’y reconnaît-il pas sa famille et ses biens ? Agnès demande alors qu’on lui montre l’enfer. Le Garçon lui donne une page écrite, ce qui la plonge dans la frustration puisque, en tant que femme, elle n’a pas appris à lire. Mais le Garçon s’en va, laissant Agnès et son mari seuls avec la «page secrète».
XII. Le Protecteur et Agnès
Le Protecteur lit à haute voix la page écrite. Le Garçon y décrit sa relation avec Agnès. Pour le Protecteur, la révélation est accablante. Pour Agnès c’est la confirmation que le Garçon a fait ce qu’elle lui avait demandé. Indifférente à la détresse de son mari, elle lui demande de lui montrer «le mot qui dit : amour».
XIII. Le Chœur des anges et le Protecteur
Les anges évoquent la cruauté d’un dieu qui crée l’homme de la poussière pour remplir son esprit de désirs contradictoires. Déchiré entre miséricorde et violence, le Protecteur retourne dans les bois et assassine le Garçon.
XIV. Le Protecteur, Agnès et les anges
Le Protecteur tente de réaffirmer son autorité sur Agnès. Il l’oblige à manger le repas placé devant elle pour prouver son «obéissance». Il lui révèle alors qu’elle a mangé le cœur du Garçon. Loin de briser sa volonté, cela provoque un ultime accès de rébellion et Agnès prétend qu’aucun acte de violence quel qu’il soit n’effacera jamais de sa bouche la saveur du cœur du Garçon.
XV. Le Garçon / ange 1
Le Garçon réapparaît sous la forme d’un ange pour présenter une dernière image : le protecteur y saisit un couteau pour tuer Agnès, mais elle préfère se suicider en sautant du balcon. Le tableau la montre en train de tomber tandis que trois petits anges peints dans la marge se tournent pour rencontrer le regard du spectateur.
L’opéra est aujourd’hui un genre ancien : son entreprise est devenue facultative, que ce soit pour les compositeurs, qui autrefois appuyaient leur carrière sur le prestige de l’art lyrique, ou pour le public, dont l’éventail de divertissements et de pratiques sociales s’est considérablement élargi. Créer un opéra au XXIe siècle n’en a que plus de force : le geste exprime un besoin profond de narration et de théâtre pour le musicien, de partage et d’émulation culturelle pour les spectateurs.
Chaque création lyrique au présent est sous-tendue par la recherche d’une forte cohérence interne et d’une signification qui dépasse les contingences de la représentation. L’opéra n’est plus divertissement, ni célébration d’une communauté, ni œuvre d’art totale. Il se veut appréhension et questionnement de la sensibilité contemporaine.
Written on Skin est l’un des plus beaux fruits de cette nouvelle démarche qui rend nécessaire moins l’opéra en général que l’œuvre en particulier.
Commande du Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence, où il a été créé le 7 juillet 2012, Written on Skin a mobilisé deux créateurs britanniques majeurs : l’auteur dramatique Martin Crimp, figure du théâtre anglo-saxon contemporain, traduit dans de nombreuses langues, et le compositeur George Benjamin dont l’univers musical, extrêmement stimulant, appuie sa force sur un rapport libre et fécond à la grande tradition occidentale.
Le texte tire son sujet d’un récit médiéval provençal devenu motif littéraire : celui du «coeur mangé». Présenté comme biographique, ce court récit s’appuie sur l’œuvre d’un poète noble du début du XIIIe siècle, Guillem de Cabestaing, dont seuls sept poèmes en langue d’oc ont subsisté. Amant de la dame Sermonde, Cabestaing aurait été tué par le mari jaloux, le seigneur Raimond de Castel- Roussillon, et son cœur offert en repas à la dame qui en serait morte.
Dès la deuxième moitié du XIIIe siècle apparaissent plusieurs versions de ce récit. Toutes glorifient le lien amoureux des amants et leur profonde fidélité respective. La déchéance du mari, d’abord morale, puis officialisée par le roi d’Aragon, vise à sacraliser l’amour courtois. L’amant, troubadour dans les versions méridionales, devient pieux chevalier dans la version allemande de Konrad von Würzburg (le maître-chanteur du fameux Chevalier au cygne, Lohengrin) et dans la version picarde de Jakèmes, le Roman du châtelain de Coucy et de la dame du Fayel. Par la suite, Boccace en fait une nouvelle du Décaméron, puis Jean-Pierre Camus une de ses Histoires tragiques en 1630. À la fin du Siècle des Lumières, Pierre-Laurent de Belloy crée avec succès sa Gabrielle de Vergy à la Comédie-Française, en plein essor du théâtre de l’horreur. Tandis que Donizetti en tire son opéra Gabriella di Vergy, Stendhal y revient dans Le Rouge et le Noir et De l’amour, en attendant que Barbey d’Aurevilly, après le marquis de Sade, en ravive la cruauté.
Renforçant la référence provençale originelle, le texte de Written on Skin s’ancre dans les réalités aixoises : ces chantiers qui ont animé le coeur de la ville ces dernières années et permis le surgissement du Grand Théâtre de Provence, édifice inauguré en 2007 et lieu même de la création de Written on Skin, dans la mise en scène de Katie Mitchell et sous la direction du compositeur, à la tête du Mahler Chamber Orchestra.
L’œuvre accomplit ainsi un geste archéologique consistant à soulever l’asphalte de nos rues pour faire revivre, au XXIe siècle, le monde féodal des grands domaines et des seigneurs obsédés par leur salut, la survie de leur lignage et leur renom par-delà les millénaires. L’un de ces grands propriétaires sera le protagoniste de l’opéra : sur ses terres, on l’appelle le Protecteur.
Dans ce monde, troubadours, clercs et enlumineurs façonnent l’histoire médiévale, qu’ils chantent les grands exploits passés ou illustrent les gestes contemporains pour les générations futures. De cette caste d’artistes qui maîtrisent les techniques et les enjeux de la représentation est issu le deuxième protagoniste de l’opéra, un jeune enlumineur qu’on appelle le Garçon.
Comme ces artistes œuvrent toujours dans le respect de la volonté divine, dont ils célèbrent la présence en toute chose, ils partagent certains attributs avec les anges, ministres du Ciel. Dans l’opéra, le Garçon est capable de voir l’avenir, ces réalités urbaines qui recouvriront de leurs strates son histoire et celle du Protecteur. Le Garçon est interprété par un chanteur qui endosse aussi le rôle d’un Ange. Et deux autres Anges ordonnent et commentent avec lui l’action scénique, voire l’intègrent dans un rôle secondaire.
Pour confier à des anges l’encadrement du récit et cette tension temporelle qui traverse l’œuvre, Martin Crimp s’est fondé sur un propos du philosophe allemand Walter Benjamin, issu de Sur le concept d’histoire: «Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.»
«Écrit sur la peau» : le titre de l’œuvre évoque le parchemin, peau animale qui précéda le papier en Occident et permit, par sa douceur et sa robustesse, le développement de la littérature écrite et de l’illustration. En faisant du troubadour d’origine un «enlumineur», les auteurs donnent au Garçon un rôle crucial : celui de «mettre en lumière», au propre comme au figuré. L’arrivée du Garçon et la mise en œuvre de la représentation glorifiant le Protecteur déclenchent un processus de révélation irréversible.
Le personnage qui subit la plus profonde mutation est celui de l’épouse qui, d’objet, devient sujet. Une autre histoire, plus véritable, s’écrit sur sa peau. Seul personnage à acquérir un prénom, Agnès incarne l’accès au statut d’individu, l’un des grands progrès du Moyen Âge, qui se déclina dans la société et dans les arts. Mais au cœur de l’œuvre, sa conquête du plaisir charnel entre plus largement en résonance avec notre époque où l’évolution de la condition féminine s’avère disparate et accidentée.
C’est par le choix de cette perspective audacieuse sur la condition humaine que Martin Crimp et George Benjamin ont fait de Written on Skin un opéra à la fois neuf, profond et essentiel.
Direction musicale, George Benjamin • Mise en scène, Katie Mitchell • Avec Christopher Purves, Barbara Hannigan, Iestyn Davies, Victoria Simmonds, Allan Clayton, David Alexander, Laura Harling, Peter Hobday, Sarah Northgraves • Orchestre Philharmonique de Radio France
Voir toute la distributionSamedi 16 Novembre 2013 - 20h
Lundi 18 Novembre 2013 - 20h
Mardi 19 Novembre 2013 - 20h
1h40 - Salle Favart
110, 87, 67, 41, 15, 6 €
Distribution
Angels, Archivists, David Alexander, Laura Harling, Peter Hobday, Sarah Northgraves
Orchestre, Orchestre Philharmonique de Radio France
Production déléguée, Festival d'Aix-en-Provence
Commande et coproduction, Festival d'Aix-en-Provence, Nederlandse Opera Amsterdam, Royal Opera House Covent Garden London, Théâtre du Capitole de Toulouse
Coréalisation, Opéra Comique, Festival d’Automne à Paris
Édition, Faber Music Ltd