Lorsque John Berry, le directeur artistique d’Opera Ventures, m’a suggéré de lire l’adaptation pour l’opéra de Breaking the Waves, j’ai revécu le choc que j’avais ressenti en voyant le film pour la première fois. Aujourd’hui, ce classique très controversé de Lars von Trier reste si précis dans son cheminement à travers la douleur qu’il est presque insupportable à regarder. De plus, l’arc narratif et la tonalité du film sont si définitifs et si extrêmes qu’on pourrait penser qu’ils défient toute tentative d’adaptation. Mais la partition internationalement reconnue de Missy Mazzoli modifie sa source d’une manière radicale et étrange. Dès que j’ai entendu cette partition, j’ai été saisi par son éclat. Et après avoir parlé à la compositrice afin de savoir comment elle s’en était emparée, j’ai été complètement happé. Au cœur de ce film, il y le jeu époustouflant d’Emily Watson incarnant Bess, l’héroïne romantique et tragique qui invite les spectateurs à comprendre ce qui peut bien relier la sincérité innocente de ce personnage à son déchirant destin.
Contrôle-t-elle ou non les choses ? Comprend-t-elle ou ignore-t-elle le prix à payer pour cet amour ? Est-elle une prophétesse ou une innocente, une radicale ou une victime ? Tandis qu’un roman répondrait peut-être à ces questions, le film, lui, n’éclaire rien et présente un mystère à la fois sombre et provocant. L’opéra de Missy Mazzoli est une réponse personnelle et passionnée à cette provocation. Là où film reste silencieux, sa musique est éloquente. Captivée par la performance Watson, elle semble avoir créé une nouvelle version de Bess afin d’affronter ces questions déstabilisantes qui sont au cœur du film. Et ce faisant, elle a écrit la musique intérieure de Bess. L’opéra est rigoureusement tenu par l’impitoyable récit de von Trier, mais la reformulation musicale de Mazzoli est une réponse pleine de compassion à la brutalité de l’histoire. Tout en y restant fidèle, elle a littéralement renversé le film. De même, dans l’opéra, la relation de Bess avec son entourage n’est pas simple. Le librettiste Royce Vavrek décrit un conflit entre Bess et son entourage, qui lutte pour lui inculquer ses propres visions de la bonté : les membres les plus âgés et les plus emblématiques de la paroisse, sa mère, sa meilleure amie, le docteur et même le mari de Bess, Jan, tous font de leur mieux pour l’aider.
Mais sa bonté les dépasse : leur aide est brouillée pas leur jugement et ne peut aboutir. Cet opéra est une sorte de Passion : une tragédie aux enjeux contradictoires dans laquelle l’entourage constate la profonde compassion de Bess mais ne peut faire autrement que de contribuer à sa destruction. Au fond, c’est ce thème de la compassion qui distingue l’opéra de sa source. Les critiques du film ont détesté le topos de la salvation masculine à travers un sacrifice féminin. Mazzoli défie cela en donnant une voix à son héroïne. Elle ne chante pas seulement sur la musique mais sur une vision de toute la partition. « J’ai essayé de lui donner la faculté de chanter sa propre histoire afin d’exister », dit Mazzoli. Et même après le tragique dénouement de l’opéra, la compassion de la Bess de Mazzoli reste vivante dans la musique, jusqu’à la toute dernière note.