Opéra-comique et Cinéma

À l’occasion de l’arrivée à l’Opéra-Comique de Breaking the Waves, opéra tiré du film de Lars von Trier, explorons les parentés insoupçonnées entre cinéma et opéra-comique.

Par Dina Ioualalen et Guillaume Picard

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Breaking the Waves, Missy Mazzoli/Royce Vavrek © James Glossop

Les liens entre opéra et cinéma ont souvent été étudiés, par la recherche contemporaine et par les artistes et théoriciens du XXe siècle. Il est courant de souligner la dette que le cinéma, dès sa naissance, aurait contractée envers l’opéra, son prédécesseur (et future victime) en matière de divertissement populaire. La matrice wagnérienne du concept d’ « œuvre d’art totale » (Gesamtkunstwerk) permettrait de comprendre, naturellement, ce qui unit ces deux arts qui racontent une histoire en recourant à tous les matériaux artistiques. Cette vision, pour être pertinente, n’en est pas moins partielle historiquement : le cinéma naît comme un art muet, qui capte d’abord de simples scènes quotidiennes, bien loin des ambitions du maître de l’opéra allemand. Tout ce qui fait l’opéra – le chant, l’alternance réglée entre récitatifs, airs, chœurs, ensemble et pièces musicales – disparaît au cinéma. Tout ce que le chant exprime et raconte, le cinéma ne peut le montrer que théâtralement. C’est pourquoi la relation entre le cinéma et l’opéra, particulièrement dans un contexte français, doit être pensée à travers un troisième terme, qui met en jeu les catégories du théâtre dialogué et du mime : l’opéra-comique. Par ses origines foraines, l’opéra-comique ne se contente pas de mêler déclamations lyrique et dramatique : il exige le jeu. C’est à travers l’opéra-comique que le cinéma en est vraiment venu, dans un second temps, à se rapprocher de l’opéra.

En 1931, un article paraît dans Pour vous, qui s’interroge sur la nécessité d’ouvrir une classe de cinéma au Conservatoire. Il s’agit de savoir si le cinéma est devenu un genre assez distinct du théâtre et de l’opéra pour l’enseigner à part. Le directeur des chœurs de l’Opéra et professeur de déclamation lyrique, M. Chéraud, observe : « Le théâtre peut gagner encore par l’abandon de ses gestes conventionnels, dont le cinéma a, au moins, renouvelé le stock. Jusqu’ici, le cinéma français n’a donné des perfections que dans le genre gai : c’est de l’opérette plus que de l’opéra. » (Pour vous, 3 décembre 1931) Cela nous apprend deux choses : le cinéma, en 1931, passe pour avoir épuré l’interprétation théâtrale, et a donc développé ses propres techniques d’expression artistique ; ce jeu nouveau n’est rapproché ni du théâtre ni de l’opéra, mais de l’opérette, genre gai et populaire.

Le théâtre de la foire [détail], gravure de Bernard Picart, 1730 © Gallica-BnF

Sans assimiler opéra-comique et opérette, on voit bien en quoi la prise en compte du parlé-chanté cher à la salle Favart peut servir de chaînon manquant entre le cinéma d’une part, et la déclamation (lyrique ou tragique) d’autre part. Ce que le cinéma français a capté dans l’opéra-comique, c’est un art moins déclamatoire que quotidien, moins tragique qu’émouvant.