Opéra-comique en trois actes. Livret d'Eugène Scribe. Créé le 2 décembre 1837 à l'Opéra Comique (Salle des Nouveautés).
Juste avant de prendre le voile, la nièce de la reine d’Espagne quitte le couvent incognito pour danser une dernière fois au bal. Mais au moment de rentrer, elle se retrouve enfermée dehors. Elle va devoir, au cours d’une folle nuit, changer plusieurs fois d’identité, de projet… et pour finir de vocation.
Neuvième ouvrage le plus joué à l’Opéra Comique, Le Domino noir est l’emblème de son répertoire romantique ainsi que le meilleur titre d’Auber d’après Berlioz,
En scène se succèdent quiproquos et travestissements tandis que la partition combine pages espagnoles, ensembles enjoués et airs virtuoses.
Valérie Lesort et Christian Hecq composent un plateau à métamorphoses, plein de fantaisie et de poésie, tandis que Patrick Davin revient défendre l’art d’Auber à l’Opéra Comique, après avoir réhabilité La Muette de Portici en 2012.
Au siècle de Nerval et de Tchaïkovski, de Gautier et de Wagner, Le Domino noir suffisait à résumer l’Opéra Comique, avec sa troupe aussi brillante dans le chant que dans le jeu et ses pièces conciliant virtuosité musicale et finesse satirique.
Ses deux auteurs, le dramaturge Scribe et le compositeur Auber, étaient les plus prolifiques d’une longue période qui s’étend de la Restauration à la Commune, et ceux dont les productions passaient le plus facilement les frontières, vite traduites et adaptées après leur création parisienne. Ce Domino noir, leur 22e collaboration en 1837, ne quitta les affiches de l’Opéra Comique qu’en 1911, et y demeure aujourd’hui le 9e titre le plus joué du répertoire, avec 1195 représentations.
Le titre énigmatique du Domino noir évoquait au XIXe siècle toutes les facettes du genre opéra-comique : le jeu mais aussi le travestissement, par le double sens du mot domino, la possibilité d’une héroïne comme d’un héros, sous le long manteau à capuche qu’était avant tout un domino, le mystère et l’intrigue, le bal et le carnaval… L’époque de sa création, la décennie 1830, était celle du triomphe de la monarchie bourgeoise et de ses valeurs libérales, de l’épanouissement romantique et d’une effervescence culturelle exceptionnelle à Paris.
Avec ses trois actes contrastés – le premier aristocratique, le deuxième familier et comique, le troisième de couleur religieuse –, avec son intrigue échevelée et presque en temps réel – qui se déroule pendant une nuit de Noël peu catholique, de minuit moins le quart au bal à 4 heures du matin (office des matines) au couvent – l’œuvre équilibre le parlé et le chanté et mélange, dans le moule du vaudeville, des ingrédients issus d’une comedia espagnole (La Dame lutin de Calderón de la Barca) et d’un conte de fées (Cendrillon). En dépit de ces sources anciennes, l’action est contemporaine du public de la création, fait rare à l’époque romantique. Avec un humour de bon aloi et une légèreté de touche qui permirent au livret d’être agréé tel quel par la censure, Scribe égratigne ensemble les romantiques – en la personne du héros Horace, rêveur et crédule – et les aristocrates – avec le comte Juliano, fêtard indifférent à la guerre civile. L’ancrage madrilène de l’action permet d’épingler les Espagnols, les Anglais et même les Français, la vanité des diplomates et l’hypocrisie des religieux étant partout semblables.
Pour les mélomanes de 2018, Le Domino noir marque l’avènement, dans notre histoire musicale, d’une Espagne certes de convention mais ô combien inspirante, quoique seuls deux numéros de la partition sur quatorze se déclarent « espagnols ». Après un siècle de classicisme dramatique qu’avait ouvert le Cid et que Figaro avait refermé, l’Espagne fantasmée, contrée de passions et d’intrigues, devint à partir de la création du Domino noir le 2 décembre 1837 une source féconde de formes musicales et chorégraphiques. Elle devait inspirer des décennies de chefs-d’œuvre. Et l’horloge déréglée qui inaugure le premier acte du Domino noir en 1837 sonne toujours en 1911 dans L’Heure espagnole de Ravel !
Fait notable pour nous aujourd’hui, Le Domino noir repose sur une intrigue conduite et résolue par deux femmes, respectivement Angèle de Olivarès et la reine d’Espagne. Cette dernière ne peut pas paraître en scène puisqu’il s’agit d’une souveraine en exercice, la régente Marie-Christine de Bourbon-Sicile, nièce de Louis-Philippe. Cette veuve de 31 ans, qui règne en 1837 sur un pays déchiré par les guerres carlistes, serait-elle la belle inconnue dissimulée par le domino noir et qui perd au bal du premier acte un bracelet de diamants ? Seul un fantasque comme Horace peut émettre une supposition aussi inconvenante ! L’héroïne voilée et polymorphe, tour à tour grande dame, servante, paysanne et abbesse, est en vérité une jeune et riche héritière qui se mue en véritable aventurière. Comme son inspiratrice caldéronienne Angela, Angèle ne se résout pas au destin que lui assignent sa famille et la société. Elle s’en libère en jetant son dévolu sur un homme qu’elle trouble jusqu’à la folie. D’ingénieuses ellipses, de distrayants personnages secondaires et le mélange des points de vue sur l’intrigue, tour à tour celui d’Angèle et celui d’Horace, permettent de dissimuler jusqu’au dernier acte l’identité réelle de l’héroïne. À ce « livret bien fait » répond une partition d’une grande variété et toujours inspirée, également centrée sur Angèle, que louait chaleureusement l’intransigeant Berlioz.
Le développement de la figure féminine ne s’explique pas seulement par les sources, mais aussi et surtout par les circonstances de la création. Cette Nouvelle Cendrillon, titre du premier livret, avait d’abord été destinée à Gomis, compositeur espagnol exilé à Paris, très actif à l’Opéra Comique jusqu’à son décès en 1836. Lorsque le projet échut à Auber, Scribe développa le livret en faveur de la soprano Laure Cinti-Damoreau, qui avait créé le rôle d’Elvire dans leur grand succès commun de 1828, La Muette de Portici. Cette transfuge de l’Opéra avait intégré la troupe de l’Opéra Comique en octobre 1835 en tant que « première chanteuse ». Il s’agissait de montrer que cette rossinienne connue dans toute l’Europe, première Comtesse du Comte Ory, était devenue à 36 ans une comédienne hors pair. Ses collègues qui l’entouraient dans le théâtre de la Bourse – la salle Favart étant alors occupée par le Théâtre Italien – ne s’offusquèrent pas de recevoir des rôles moins développés et se contentèrent de leurs personnages bien caractérisés : la célèbre Mme Boulanger, une mezzo qui tenait l’emploi de « mère Dugazon », démontra une nouvelle fois son abattage dans la truculente Jacinthe, la « première Dugazon » Julie Berthaut pétilla en Brigitte de San Lucar, les excellents 1er et 2e ténors Couderc et Moreau-Sainti brillèrent dans leurs rôles du tendre Horace (plébiscité par tous les ténors de la troupe) et de l’entreprenant Comte Juliano, le baryton de caractère Grignon s’amusa en Lord Elfort, comme la basse-taille comique Roy en Gil Perez et la soprano Thérèse Olivier en sœur Ursule.
Pour relever le défi de cet opéra-comique réputé suranné, au titre énigmatique aujourd’hui, à l’intrigue invraisemblable, et où les scènes parlées sont aussi exigeantes que les numéros chantés, l’Opéra Comique rassemble en 2018 une distribution rompue à cet art difficile et emmenée par Anne-Catherine Gillet, sous la direction musicale de Patrick Davin, qui a ressuscité La Muette de Portici en 2012, et la direction scénique de Valérie Lesort et Christian Hecq, dont c’est la première production lyrique. En faisant rutiler les couleurs du Domino noir, cette joyeuse troupe célèbre la vitalité d’un répertoire qui n’a pas fini de nous enchanter.
Direction musicale, Patrick Davin • Mise en scène, Valérie Lesort, Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française • Avec Anne-Catherine Gillet, Cyrille Dubois, Antoinette Dennefeld, François Rougier, Marie Lenormand, Laurent Kubla, Sylvia Bergé, Laurent Montel • Choeur, accentus • Orchestre Philharmonique de Radio France
Voir toute la distribution2h35 (entracte inclus) - Salle Favart
135, 125, 97, 75, 50, 30, 16, 6 €
16 emplacements spécifiques sont accessibles aux personnes à mobilité réduite, sur réservation au guichet ou par téléphone. Ascenseur accessible par le 5 rue Favart.
01 70 23 01 44 | accessibilite@opera-comique.com
Avant-spectacles
Chantez "le Domino noir"
45 minutes avant la représentation :
Geneviève : 26, 28 mars, 1er et 3 avril
Jeanne : 30 mars, 5 avril
Rencontrez les artistes
Rencontre avec les artistes Valérie Lesort, Marie Lenormand et Jean-Claude Yon jeudi 29 mars à 19h. L'échange sera illustré de projections de costumes et décors d'hier et d'aujourd’hui.
Distribution
Danseurs :
Anna Beghelli, Sandrine Chapuis, Margaux Dufour, Mikaël Fau , Gaëtan Lhirondelle, Guillaume Rabain
Choeur :
Accentus
Orchestre :
Orchestre Philharmonique de Radio France
Coproduction :
Opéra Comique, Opéra Royal de Wallonie crée le 23/02/2018 à Liège, Opéra de Lausanne