Une journée ordinaire dans laquelle survient un terrible événement. À la mort de son enfant, une femme se met en quête du miracle qui lui rendra la vie. Tout ce qu’elle a à faire est de trouver avant le soir un être humain qui puisse se dire parfaitement heureux et rapporter en guise de preuve l’un de ses boutons de manche. Si chaque rencontre, aussi prometteuse soit-elle, se solde par une déception, elle finit par faire la connaissance de l’hôtesse et créatrice d’un jardin merveilleux, la mystérieuse Zabelle.
Onze ans après le succès historique de Written on Skin, George Benjamin et Martin Crimp sont revenus en juillet 2023 au Festival d’Aix-en-Provence, pour un nouvel opéra en un acte donné dans l’écrin du Théâtre du Jeu de Paume : une fable initiatique sur la nature humaine et la découverte de soi, un conte universel aux couleurs changeantes, où le flux de la musique épouse celui de la vie. La mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, ponctuée d’une installation vidéo d’Hicham Berrada, dessine le parcours intérieur de l’héroïne, à la frontière entre réalisme et onirisme. Le compositeur dirigeait cinq jeunes chanteurs qu’il avait soigneusement choisis, Marianne Crebassa en tête, et une formation avec laquelle il a noué un lien privilégié, le Mahler Chamber Orchestra, qui fêtait ses vingt-cinq ans, et que remplace dans notre reprise d’octobre 2024 à l’Opéra-Comique l’Orchestre Philharmonique de Radio-France.
George Benjamin : Une entrée patiemment mûrie sur la scène lyrique :
George Benjamin est l’une des figures majeures de la musique d’aujourd’hui qui concilie, au-delà de toute école et avec une exceptionnelle maîtrise technique, raffinement de la structure et clarté de la forme, inspirations puisées dans la tradition et expérimentation, suggestivité visuelle et sortilèges sonores, puissance expressive et sensualité : un talent précoce et précocement reconnu, mûri notamment auprès d’Olivier Messiaen et Yvonne Loriod, qu’un sens inné de la dramaturgie musicale aurait en toute logique dû mener rapidement à l’opéra.
Pourtant, vingt-cinq ans auront été nécessaires pour que le compositeur franchisse le pas. Il lui a d’abord fallu méditer les lois du genre et fourbir sa technique de composition au miroir de ce qu’il observait chez ses contemporains ; faire siens certains invariants inhérents au genre lyrique – comme se mettre au service des voix, rendre le texte intelligible, créer des atmosphères, susciter l’émotion ou raconter une histoire – et ajuster les paramètres harmoniques et rythmiques de son langage à ces contraintes, sans pour autant renier l’exigence d’innovation et de complexité : en cherchant toujours à articuler une fable, une forme, un ton et un langage.
Mais il lui fallait aussi et surtout trouver son alter ego : un dramaturge inspirant dont l’univers théâtral, la langue empreinte de musicalité et les qualités humaines s’ajusteraient idéalement à ses désirs et à ses attentes.
Martin Crimp : «Parce que c'était lui, parce que c'était moi »
Ce fut le cas en l’œuvre puis la personne de Martin Crimp, le plus éminent dramaturge anglais contemporain : un orfèvre de la langue et des situations qui, par son imagerie éloquente, le soin minutieux apporté au rythme sur grande et petite échelles, sa manière de concilier précision et mystère, concision et vigueur, présentait tous les traits susceptibles de faire sauter les scrupules qui avaient pu entraver Benjamin jusque-là – comme, en son temps, le théâtre de Maeterlinck avait pu le faire pour Debussy.
Mais pour être efficiente à l’opéra, la manière unique qu’a le théâtre de Martin Crimp de dégager la poésie et l’inquiétante étrangeté de notre quotidien et des relations
parfois violentes que nous y tissons exigeait un pas de côté, une transposition. En empruntant aux genres du conte, de la légende ou de la tragédie élisabéthaine, mais fondus dans un dispositif formel et narratif moderne, Crimp place ses fables sur une frontière entre mondes matériel et métaphysique que la musique de Benjamin convoque selon lui naturellement – et qui permet en retour à l’inspiration du compositeur de se déployer. Au centre rayonnent des personnages d’aujourd’hui et de toujours, bouleversants d’humanité vraie : Agnès dans Written on Skin ou la Femme de Picture a day like this.
Une fable légère et profonde sur la destinée humaine
Rejoignant peu à peu la constellation des tandems mythiques jalonnant l’histoire de l’opéra, Benjamin et Crimp sont unis par un même désir immémorial de raconter des histoires universelles d’une grande intensité émotionnelle dans le cadre d’une recherche formelle innovante. Ils ont forgé au fil de leurs collaborations une méthode de travail nourrie d’une grande estime réciproque, d’un respect des personnalités et des manières de faire, d’un sens permanent de l’écoute et du partage – des qualités également attendues de tous leurs collaborateurs dans le cadre d’un processus créatif minutieusement réglé, presque ritualisé. Picture a day like this est leur quatrième opéra, dans un souci de stimulation et de renouvellement constants.
L’œuvre rompt ainsi avec l’alliage de désir et de violence « grand format » qui faisait la substance tragique de Written on Skin et de Lessons in Love and Violence pour renouer avec le genre plus resserré et miroitant du conte, qui caractérisait déjà leur premier opéra Into the Little Hill – l’irréel stimulant fortement la créativité de Benjamin. Les deux artistes se confrontent pour la première fois aux défis dramaturgiques et musicaux découlant d’une forme spécifique : le parcours initiatique d’une protagoniste unique, soumis au principe sériel de rencontres successives – à la manière d’Alice au pays des merveilles. Pour donner corps à ce principe de continuité brisée, Benjamin traite chaque scène selon une technique compositionnelle différente, balisée toutefois par la récurrence de combinaisons instrumentales et harmoniques plus ou moins perceptibles. Légèreté, variété et mobilité sont continûment de mise – au diapason du flux de la vie, dont les paysages se modifient, et de la conscience humaine, traversée d’humeurs changeantes.
La fable, qui puise à des sources anciennes d’origines diverses, tant occidentales qu’orientales, comme autant de variations autour d’un même motif existentiel – du Roman d’Alexandre au conte populaire italien La Chemise de l’homme heureux en passant par l’exégèse bouddhiste –, se fait porteuse d’une représentation généreuse et réparatrice du genre humain, d’une sagesse lucide sur ce qui fait sa destinée.
Affinités électives
Autre manifestation de leur propension à fonctionner selon un principe de fidélité et d’affinité élective, Benjamin et Crimp ont souhaité retrouver pour cet opéra les metteurs en scène Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, déjà sollicités pour Into the Little Hill.
Le voyage de l’héroïne se déroule dans un cadre moderne sans identité précise architecture industrielle, réserve de musée ou morgue –, extériorisation de son espace mental : une structure qui évolue sans cesse, comme dans les rêves, où apparaissent et disparaissent différents personnages, ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres. Pour l’évocation du jardin enchanté de la scène finale, ils se sont associés à l’artiste plasticien Hicham Berrada, connu pour ses « aquariums » : de fascinantes imitations des manifestations les plus somptueuses et luxuriantes de la nature, obtenues par les moyens pourtant les plus contraires au vivant puisque chimiques et toxiques : une ambivalence mise au service de la fable, dont la morale n’est peut-être pas celle que l’on attendrait.
À la suite de la création mondiale du 5 juillet 2023 à Aix-en-Provence, Picture a Day like this a entamé sa tournée dans les institutions co-commanditaires et coproductrices, avec la même distribution vocale et à chaque fois un nouvel orchestre. Après Londres (octobre 2023) et Strasbourg (septembre 2024), le spectacle est présenté à l’Opéra-Comique dans le cadre du Festival d’Automne, onze ans après la révélation de Written on Skin, et à nouveau sous la baguette de George Benjamin.
Argument
1. La page
« À peine mon enfant avait-il commencé à faire des phrases complètes qu’il est mort. »
Une Femme voit son enfant mourir. Elle refuse de l’accepter, et apprend que si elle parvient à trouver une personne heureuse, et à obtenir « un bouton de la manche de son vêtement », ce simple geste ramènera miraculeusement son enfant à la vie. Munie d’une page lui indiquant l’itinéraire à suivre, elle débute sa quête, pleine d’espoir.
2. Les amants
« Nous n’avons pas honte. Nous sommes amoureux. »
Elle rencontre d’abord un couple de jeunes Amants. Voyant qu’ils semblent heureux et amoureux, elle leur demande un bouton de leur vêtement, mais cela déclenche une terrible dispute entre eux.
3. L'artisan
« Je peux énumérer chaque bouton que j’ai fait dans ma vie. »
La Femme rencontre ensuite un Artisan et apprend qu’avant de prendre sa retraite, il était fabricant de boutons. Il semble donc tout désigné pour répondre à sa demande. Mais à mesure que la scène progresse, l’esprit de l’Artisan se dégrade.
4. La compositrice
« Dites que j’invente toutes les nuances de la lumière. »
La Femme tombe alors sur une célèbre Compositrice, accompagnée de son Assistant, qui s’apprête à entrer en répétition. Lorsque la Femme tente de leur faire comprendre l’urgence de sa demande, la Compositrice est contrainte de lui expliquer que sa vie, enviable de prime abord, est moins simple qu’il n’y paraît.
5. Aria
« Les tiges mortes des fleurs reprennent vie. »
La Femme laisse libre cours à sa colère et à sa désillusion. Rien ne se passe comme elle l’avait espéré : le bonheur lui échappe, sa quête semble vouée à l’échec.
6. Le collectionneur
« J’ai des salles pleines de miracles. »
Après cet accès de fureur, et alors qu’elle a perdu tout espoir, elle rencontre le Collectionneur. Malgré le désir qu’il ressent pour la Femme, il est ému par son chagrin et accepte de l’aider. Il ouvre alors une porte qui lui permet de pénétrer dans un jardin.
7. Zabelle
« Imagine un jour comme celui-ci. »
Dans un jardin d’une grande beauté et d’une grande tranquillité, la Femme rencontre enfin Zabelle, un être qui, de toute évidence, lui ressemble. Lorsque la Femme la supplie de bien vouloir partager son bonheur, Zabelle lui conte une histoire qui l’oblige à regarder le jardin – et Zabelle elle-même – sous un jour nouveau.